Intervention de Michel Bénard, Vice-Président
du Cénacle européen francophone
de Poésie, Arts et Lettres, le 10 juin 2017
Prix de Photographie Charles Ciccione
remis à Patricia Baud





L’image nous envahit, se vulgarise, se désacralise, allant jusqu’à sombrer dans une forme de banalisation déconcertante, pouvant devenir également un outil de perversité sournoise. Signe évident d’une société malade de sa surabondance mondialisée, de son nivellement par le bas, ayant détrôné l’esprit de qualité individuelle. L’âme de l’artisan, du compagnon. Mais à bien y réfléchir et c’est plutôt rassurant ces propos ne tiennent pas, car il existe une prise de conscience et les vrais artisans de l’image, les authentiques disciples du rêve fugitif immortalisé au vol, sont de plus en plus nombreux et présents pour conjurer les mauvais signes du temps. Patricia Baud notre lauréate du prix photographique Charles Ciccione 2017 appartient à cette catégorie d’élus. L’image perçue au travers du regard de ces photographes, artistes à part entière, prend une tout autre dimension, elle est sublimée, poétisée, humanisée pour retrouver toute sa symbolique iconographique révélatrice et par là même toucher au sacré, à une possible transcendance. Patricia Baud est bien de la confrérie de ces alchimistes non pas qui transmutent le plomb en or, mais qui révèlent l’image tel un poème vibrant de réalité et d’onirisme. « La photographie, c’est un silence alors que souvent l’image est un cri. » Ce fragment est une des maximes chères à notre amie. N’oublions pas que notre photographe est une artisane de terrain, de contact, très proche du tissu social, donc humain. Pour moi, dit-elle encore : « La photographie c’est montrer les choses dont on ne parle pas, que l’on voit peu. »  
Patricia Baud survole le monde en sa surface pour mieux l’interroger en profondeur. Peut-être pourrions-nous y voir un ancien reflexe professionnel car notre photographe avant de pouvoir se livrer pleinement à son art, fût psychosociologue. Pour la suite beaucoup de choses s’expliquent. Mieux, il y a pour elle une similitude avec l’écriture, une transcription lumineuse. La photographie c’est déjà savoir et prendre le temps de regarder les autres pour en saisir par fragments la plus précise identité possible, la quintessence. Ici, la photographie se fait écriture, alors est-ce une coïncidence si Patricia Baud accomplit une œuvre depuis des années en parfaite osmose avec l’écrivain et historien Alain Bellet. Fréquemment ils travaillent en binôme dans le climat d’une belle complicité créative et complémentaire. Convenez que cela fusionne parfaitement à l’esprit de notre Cénacle Européen ses Arts & des Lettres francophones. Nous rencontrons chez notre lauréate, par son acte de cueilleuse d’images, cette notion de passerelle allant vers les autres, voire de s’ouvrir aux autres, ce qui n’est pas une évidence, le photographe étant parfois considéré comme un voleur d’images intimes, un kidnappeur d’identité. Mais si le photographe subtilise, il sait aussi qu’il y aura un compromis avec son sujet, une restitution. Son but initial étant de donner la parole à l’image en la retransmettant à bon escient. Lorsque Patricia Baud aborde ses travaux personnels, elle évoque la blessure, la déchirure, la dualité, la trace, l’effet miroir, la résurgence de la mémoire du mouvement hors de l’espace temps qui seraient, passé, présent et futur.
Ce prix qui lui revient incontestablement de plein droit, est tout à fait en parfaite adéquation avec les principes philosophiques et engagements de vie de Charles Ciccione, de par sa grande proximité, son travail de mémoire lié aux différentes couches sociales et en particulier au monde ouvrier dans ses luttes, ses espoirs et ses désillusions. Il me revient ce chant de Jean Ferrat : C’est un joli nom camarade. Comprenne qui pourra ! Ici je pense aussi à Fleurs de Mai immortalisant toute la revendication prolétaire,
L’histoire en marche, un regard d’espérance pour demain. Comment ne pas penser également à L’usine de ma vie, qui développe le drame humain de l’agonie minière. Démarche similaire avec Lutte et fin de Metaleurop, combat solidaire et militant de notre photographe, que pouvait-elle faire de plus devant l’évidente et imparable injustice d’un vampirisme mondialisé ? Luttes sociales certes, mais Patricia Baud nous parle aussi d’amour d’une bien délicate manière. L’amour de toute façon et là, une fois encore Alain Bellet par la plume se profile en binôme comme très souvent dans l’œuvre photographique de Patricia Baud. Difficile parfois de vouloir dissocier l’œuvre de l’écrivain et celle de la photographe, les deux fusionnent. Si un jour je découvrais l’œuvre de Patricia Baud sans celle de l’homme de plume Alain Bellet en complémentarité j’aurais le ressenti d’une rupture, d’une déchirure, d’une mutilation. Tout dans l’œuvre de Patricia Baud est sensibilité réaliste ou onirique, elle a le cœur en ligne de mire avec son objectif.Son œuvre est des plus poignantes, touchantes, d’une intense qualité et il est bien difficile en ce cas de prétendre faire un choix, car il y a toujours ce sentiment d’injustice, de partialité. Cependant sans trop vouloir y réfléchir, ce sera le coté coup de cœur, je retiendrai trois photographies N&B et couleur qui restituent la belle dimension symbolique de la pensée et sensibilité de notre auteure-photographe. Je m’arrêterai donc sur cette photographie avec un arrière plan d’azur et drapé de robe où deux mains d’ethnies différentes s’effleurent à peine mais s’ouvrent un bel espoir humain en devenir.
Puis sur le fond d’une carte des Etats-Unis d’Amérique ce gros cœur rouge et translucide recouvrant un couple d’amoureux. Et encore dernier coup de cœur et symbolique suprême, dans un grenier très probablement ou un débarras, un corps de violoncelle, désaccordé, brisé, avec la main d’un mannequin à sa base. Poignante évocation de la destinée et de l’impuissance humaine où seul demeure l’objet d’une musique qui s’est tue à jamais. Et si la vie était ce violoncelle désaccordé et cette main froide, blanche et rigidifiée.   
Pour Patricia Baud l’acte photographique est bien un acte d’écriture, ce qui explique mieux il me semble, son étroite et fructueuse collaboration avec l’homme de lettres et historien Alain Bellet déjà évoquée. La liste des ouvrages réalisés en collaboration est importante et je ne peux ici tous les nommer, mais vous les trouverez facilement sur n’importe quel moteur de recherches. Avant de refermer mon livre, je rappellerai aussi la réalisation d’un film : P’tits enfants du bassin minier. Le livre se ferme mais l’aventure que je souhaite encore longue à Patricia, continue !

Michel Bénard