Un été dans la Sierra

Photographies Patricia Baud

Je crois qu'il y avait une maison, il me semble y avoir vécu, répétait-il, cet été - là, dans la Sierra.
Il avançait sur le sol craquelé et il pensa alors à un gigantesque puzzle de de terre cuite mitonné dans les marmites d'un diable ! Il était venu prélever pour révéler, révéler, répétait-il en lui-même, rempli de ces matériaux cassés-collés cernant son horizon.
Au sol, il suivait avec délice la magie des zigzags concassés, la pierre cuite enchevêtrée. Il s'imaginait des numéros gravés, s'inventait la pièce numéro quinze, la seize, la dix-huit… L'air le brûlait, les pompiers, le dix-huit, vite…
Il devenait l'été, il était la Sierra à l'eau évaporée, la Sierra craquelée d'un sol qui se dérobait à ses pieds fatigués. Alors, planté au centre de cette nature hostile, il repensa aux Arts Plastiques sans trop savoir pourquoi. Les gestes ponctuant les phrases, il se souvenait de la jeune femme, de ses propres mots murmurés alors… " Elle parle avec ses mains, faisant glisser l'histoire de l'Art du bout de ses phalanges… "
C'était juste l'été dans la Sierra, un rêve d'eau glacée, une envie de rosée matinale, un souhait de rosé provençal, juste un instant béni d'humidité…
 
Je crois qu'il y avait une maison… Se dit-il encore, ne cherchant désormais rien d'autre qu'un moyen d'évader à la chaleur de l'été.
 
Alain Bellet, écrivain

 

Faux pas dans la Sierra
 
Une nature presque usée s'exposait aux regards des voyageurs improbables égarés sur les lézardes brûlantes du sol craquelé. Le paysage en effet n'était qu'une gigantesque craquelure, une peau de lézard rétractile privée d'ombre et de repos.
Ils hésitaient, gauche, droite, avant, arrière... Nul repère ne s'offrait à leur quête d'assurance. Il leur fallait bouger, défier le sol inquiétant, choisir une destination. Ils étaient dans l'attente d'un Godot salvateur, un guide patenté qui aurait su leur montrer la route à suivre.
Les enfants s'amusaient encore, les femmes se taisaient, Jules et Jim s'en remettaient à la providence. L'un était taillé de certitudes, l'autre d'hésitations. Côté face, côté pile d'une fragile humanité qui n'avait rendez-vous qu'avec elle-même. Le rire des enfants s'évaporait et les femmes s'étaient remises en marche au hasard, sans décision. Jules suivait Jim dans un premier instant, puis Jim se portait à l'arrière dans le moment suivant. Ils semblaient faire du surplace sur les dalles sombres recouvertes de leurs ombres hésitantes.
Tout d'un coup, ils tombèrent dans les entrailles de ce désert en terre cuite. Le bruit de leur chute attira les elfes des profondeurs et cette jolie rencontre au détour d'une faille redonna le sourire aux deux compères.
-Eh, réveille-toi, il faut repartir, tu as fait de beaux rêves ?
Jules frotta ses yeux encore ensommeillés. Jim, comme à son habitude, faisait le pitre pour essayer d'accélérer ce moment, entre-deux incertain dans sa finalité, toujours un peu trop long de lourd silence. Jules lui apparaissait comme un être trop complexe. Il attendait avec impatience, le mot sésame de leur nouvelle rencontre, le lien qui les réunirait de nouveau. Qu'allait-il lui raconter aujourd'hui ? Quelles nouvelles peurs habitaient son ami ?
Poussières d'humains
 
Ils étaient les survivants d'un monde inique, lui, un bel homme compliqué au regard maléfique, elle toute vêtue de noir qui disait tisser sa toile dans l'attente du soir…
Emprisonné dans son regard maléfique, j'avais brisé les verrous pour reprendre ma liberté, retissé ma vie, changé de peau, remplacé le noir de ma tristesse.
Par le bleu du ciel, chaque matin elle combinait un nouveau rituel pour sa journée, bien sûr sans oublier ses impossibles obligations d'adulte, mais toutes les heures pour elle devenaient rêveries en couleur.
 
Tel un chat à l'affût, les jolies compositions du temps, des lumières et des ombres, ce camaïeu de lignes et de formes s'organisait au gré de ses humeurs.
En brisant les glaces, elle était passé de l'autre côté, s'inventant une personnalité. Elle était une nouvelle Alice et tous les lapins de la création pouvaient bien lui tendre leurs pièges, elle ne marcherait pas ! Convaincue de la justesse de son échappée, avec le temps elle se méfiait même plus de l'homme compliqué.
Soudain, ils arrivèrent aux pieds d'une immense demeure aux parois lumineuse. Allaient-ils pouvoir s'y reposer ? S'y poser simplement pour réinventer enfin une existence paisible ?

Le pays des merveilles les attendait. Elle voulait simplement le croire.

Un monde débordé
 
Suivez la piste, ne vous retournez pas, avancez… Ne fixez pas la craquelure de la terre, leurs regards sont sans pitié. Leurs mémoires retiennent la curiosité, leur puissance s'abreuve de leur incongruité...
Le vieil homme gesticulait. Ses bras immenses ponctuaient les mots criés. Sa face rougeâtre prenait des expressions sévères et son grand manteau gris vert aux boutons d'or retenait difficilement le vent qui s'engouffrait par saccades.
-Ne vous retournez pas, avancez… La petite Juliette serrait fortement la main de l'adulte aux allures dégingandées. De l'autre main, la petite fille, âgée de sept ans, caressait le cou du lapin cygne qui rythmait les pas des fugitifs…
Ils fuyaient le feu de la terre, la colère des roches, la folie des hommes qui avaient bougé les équilibres et l'étrange animal fait de plumes et de poils blancs aurait pu en témoigner.
-Ne vous retournez pas, avancez… C'était comme un murmure venu des profondeurs, un souffle désespéré évitant une tragédie.
Le manteau aux boutons d'or avait fui tous les empires, évité les ordres iniques, boudé les représentations dérisoires.
Le vieux avait choisi la fuite, la petite lui avait fait confiance et maintenant tous deux prenaient-ils conscience qu'ils devaient convaincre les autres survivants ?
 
 
Ode à la vie
 
Aujourd'hui, la littérature est entrée en résistance contre un ennemi qui n'a pas de visage, qui n'a que l'identité vague et grise de l'indifférence. Cela ne doit pas décourager la passion d'écriture, au contraire. C'est justement parce qu'il n'y a rien à attendre du médiatique en général, qu'écrire ressemble de mieux en mieux a une vocation désintéressée selon l'écrivain français Georges Picard dans "Tout le monde devrait écrire", éditions Corti, parution le 31 aout 2006.
Je n'avais jamais entendu parler de l'artiste Xavier Veilhan. Son génie est d'avoir contribué à la démocratisation de l'art contemporain, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, du cosmos aux vies minuscules. D'où venons-nous, chacun, chacune d'entre nous ? De quoi sommes-nous constituées ? Quels sont les liens qui nous attachent à la planète terre et à nos frères et sœurs animaux et végétaux au cœur du parc culturel de Rentilly ?
L'exposition "Un été dans la sierra" est une ode à la vie. Le seul vrai voyage consiste, selon Marcel Proust, à voir le monde avec les yeux d'un autre. N'est-ce pas très précisément au voyage que nous invite l'interculturalité comme forme interrogative de la pensée dans son élan nomade vers ce qu'elle ne connaît pas ?
Qu'on apprécie ou non les arts vivants, je me sens minuscule, car on descend tous de la même molécule que l'on soit chrétien, juif, musulman, athée, bouddhiste ou hindouiste... "Un été dans la sierra" affirme la singularité de la nature et son fort pouvoir d'évocation pour une transhumance entre captation du réel et douces notes de musiques a la manière de Rimbaud.
Ici, les silences ne s'inventent pas. Comment ne pas songer à l'absurdité de nos existences qui se prennent trop au sérieux, prisonnières du carcan d'une tradition patriarcale, des apparences qu'il convient de sauver et privées de tout émerveillement, source de l'intelligence et de la sensibilité?
Dans cette œuvre, le langage explore les âmes endormies sous le poids de nos certitudes, des tabous et des peurs, et réveille les clochettes de l'enfance perdue. Bref, juste un instant de poésie à la fois légère, grave et intemporelle.
La révolution de l'artisan n'est pas révolution de palais, mais révolution de l'être. En délivrant la nature, elle nous délivre. Le monde et l'homme s'émancipent, ensemble.
 
Amel Benaddi