Voyages dans la Comédie humaine
Groupe images et écriture Avec Patricia Baud et Alain Bellet
Proposition du 19 mars 2021

Honoré de Balzac, romancier, dramaturge, essayiste du 19ème siècle


La Comédie humaine est le titre sous lequel Honoré de Balzac a regroupé un ensemble de plus de quatre-vingt-dix ouvrages (romans, nouvelles, contes, essais, de genre réaliste, romantique, fantastique ou philosophique et dont l’écriture s’échelonne de 1829 à 1850.
Par cette œuvre, Balzac a voulu faire une « Histoire naturelle de la société », explorant de façon systématique les groupes sociaux et les rouages de la société, afin de brosser une vaste fresque de son époque susceptible de servir de référence aux générations futures.
Créateur du roman moderne, Balzac veut décrire la totalité du réel. Il montre sous ses diverses formes la montée du capitalisme et la toute-puissance de l'argent, menant à la disparition de la noblesse et à la dissolution des liens sociaux. Le titre a été choisi en référence à la Divine Comédie de Dante.  
Mais au lieu d'une entreprise théologique, l'auteur s'est voulu sociologue et a créé un univers où l'amour et l'amitié tiennent une grande place, et qui met en lumière la complexité des êtres et la profonde immoralité d'une mécanique sociale où les faibles sont écrasés tandis que triomphent le banquier véreux et le politicien vénal.
Merveilleux génie de l'observation, Balzac a créé des types humains saisissants de vérité. Certains de ses personnages sont tellement vivants qu'ils sont devenus des archétypes, tels Rastignac jeune provincial ambitieux,  Grandet, l'avare tyran domestique, ou Goriot, symbole de la paternité. Il accorde une place importante aux financiers et aux notaires, mais aussi au personnage de Vautrin, le hors-la-loi aux identités multiples. Son œuvre compte une importante proportion de courtisanes et de grisettes, à côté de femmes admirables et angéliques. Intéressé par les êtres qui ont un destin, il crée des personnages plus grands que nature : 
 
« Chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. » Charles Baudelaire 
 


Propositions d’écriture
 
Proposition 1 : À la manière de Balzac, nous vous proposons un regard personnel sur notre société. Écrivez sous forme de dialogue la rencontre de deux personnes dans un endroit de votre choix, supermarché, trottoir d’une ville, au bureau…
 
Proposition 2 :  Un repas de famille pour une occasion de votre choix.  Cela se passe aujourd’hui, en pleine pandémie. Décrivez le décor, les plats, les attitudes des uns et des autres, les discussions ou les non-dits…
 
Proposition 3 : Vous ouvrez le journal d’aujourd’hui et vous tombez sur un texte qui retient votre attention. Le sujet est libre mais contemporain. Mettez un titre et développez soit avec un style humoristique ou journalistique…
 
PANDEMIE, CE MOT QUI INONDE NOS JOURNAUX / Sylvie
 

Pandémie, ce mot qui inonde non seulement nos journaux, nos programmes télévisés et qui donne à penser aujourd'hui que nous ne sommes, ni seul, ni tout puissant. Au contraire, cette pandémie qui nous confine régulièrement a fait de nous non seulement des dépressifs, mais aussi des soupçonneux de tout. Avons-nous suffisamment nettoyé les surfaces, ma voisine porte-t-elle un masque parce qu'elle est potentiellement atteinte ou parce qu'elle se protège ? Sans compter les hommes politiques que nous avons placé sur un piédestal avec la fonction la plus prestigieuse de la Présidence qui, à revers de décisions, nous balade d'un jour à l'autre.
Les décisions sont-elles justes quand on demande aux entrepreneurs de fermer boutique, de ne plus avoir de revenus, de se voir périr progressivement ? Quant aux autres, ils bénéficient de salaires diminués mais nous vivons tous en fonction de nos revenus. Faudra-t-il supprimer les vacances ou le cours de poney de la petite dernière ?
Évidemment la France évolue, elle se vide de cette substance appelée travail. C'est un changement radical de notre société. Les indépendants d'hier seront les chômeurs de demain. Pendant ce temps, d'autres ouvrent la malle aux bénéfices et profitent de revenus non négligeables, ce sont eux qui formeront les fortunes de demain.
C'est aussi l'ère du numérique où seuls ceux qui auront les codes dans leurs bagages pourront se sortir de cette impasse. On nous demande d'avoir une attitude distancielle quand le télétravail nous impose d'être de plus en plus nombreux dans la même pièce. Laissons de côté nos ailleurs, notre population déshéritée parce que l'informatique n'a pas pu aller jusqu'à leurs existences…
Pandémie, que de deuils à résoudre seul, si vos revenus ne vous permettent pas de vous faire aider ? Indéniablement la société évolue mais pourrons-nous encore parler de bonheur ?

REPAS DE FAMILLE / Joël
 
Dans la famille Grandet, depuis des générations on ne rate jamais les réunions de famille aux fêtes de Noël. C'est sacré et personne ne manque à l'appel. On a fait un pacte, chacun peut exprimer son opinion, mais on n’élève jamais la voix, on ne se dispute pas, on pratique éventuellement l'ironie en prenant garde de ne pas blesser et on évite soigneusement certains sujets tabous. Certains ne s'apprécient guère et ne se rencontrent jamais en dehors de cette réunion familiale.
Pandémie du Covid oblige, chacun a trouvé dans les environs de la maison familiale du grand père Eugénie un gîte ou une chambre d'hôtel. Sinon, tout le monde couchait dans la maison, les enfants dans des sacs de couchage dans la salle à manger ou au garage.
Le patriarche Félix est âgé de cent-onze ans et il a encore toute sa tête ! Il a connu les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et la grippe espagnole. Son fils Charles est en retraite, mais il est toujours pris par les affaires dans l'entreprise qu'il a créé. Autodidacte, il conseille son fils qui dirige maintenant cette entreprise qui a évolué et a été rachetée par un grand groupe du CAC 40.
 
À deux kilomètres dans la ville voisine, se trouve un quartier dit sensible où les policiers et les pompiers sont régulièrement insultés, reçoivent des jets de pierres et dernièrement des tirs de mortiers. Ces deux mondes ne se fréquentent pas, ne se comprennent pas, ne s'aiment pas. Ils parlent un français différent, n'écoutent pas la même musique. À l'intérieur de la villa on trouve des meubles de différents styles essentiellement de l'Empire et de la royauté. Sauf dans les chambres réservées aux petits enfants où les meubles proviennent d'un célèbre fabricant suédois. Dans le bureau de Charles figurent ses meilleurs souvenirs exposés, sa légion d'honneur, les médailles militaires, des photos de ses nombreux voyages professionnels et d'agrément. Trônent aussi avec fierté des photographies ou il apparaît au côté de Winston Churchill, du général de Gaulle, du Shah d'Iran, d’Aga Kan connu à Chantilly lorsqu'il s'était occupé de deux pursangs dont l’un avait gagné la course de l'Arc de Triomphe et le Grand Prix de Diane.
 
Un des petits fils a créé une entreprise qui est la dernière en France à fabriquer des habits de bonne qualité et vient de se diversifier en créant une chaîne de fabrication de masques.
Un autre Eugénie, dont le surnom donné par ses camarades de classes primaires était Rastignac ! Brillant étudiant, il a réussi Polytechnique et l'ENA et il est directeur de cabinet d'un ministre. Il est très volage et ses frères disent qu'il a bien été aidé pour parvenir à cette fonction par ses aventures, particulièrement avec des dames plus âgées que lui dont l’une est très connue comme intrigante, une certaine Brigitte.
 
Il y a le raté, la honte de la famille qui est éboueur, celui qui a épousé une infirmière. Florine une actrice très jolie connue sous le nom d'artiste de Monica, un juge Monsieur Camusot, le journaliste Étienne Lousteau, un policier Jacques Collin, homosexuel, qui dans sa jeunesse a flirté avec la pègre sous le pseudonyme de Vautrin. Enfin on trouve aussi un médecin appelé Horace, marié avec la duchesse Clara de Beauset.
Attardons-nous sur la description de deux des personnages, l'artiste Florine connue sous le pseudo de Monica, une très jolie femme et sur Eugène, dit Rastignac.
Florine a de magnifiques cheveux bruns qui descendent jusqu'au creux de ses reins, de grands yeux bleus, une bouche sensuelle, une poitrine opulente, de longues jambes attirantes, un regard qui vous enivre, un sourire enjoué, une peau mate, une voix douce et un accent atypique. Elle est très jalousée par les autres dames de la famille et se trouve être la favorite du patriarche.
Dès son plus jeune âge, Rastignac a voulu être le premier de la classe, séducteur, il a gravi tous les échelons grâce à son intelligence et sa capacité à apprendre vite et beaucoup de choses et surtout aussi à ses nombreuses conquêtes féminines avec un penchant pour les femmes plus âgées que lui voir beaucoup plus âgées, et principalement cette Brigitte qu'il a connue adolescent et qui ne l'a plus lâché et l'a introduit dans les sphères du pouvoir.
 
En ce Noël 2020, les conversations vont principalement tourner autour de la pandémie, de la gestion par le gouvernement, des soignants, des scientifiques, de l'après-pandémie, de la dette, de l'immigration, des banlieues, des universités, de la jeunesse de cette génération, de la violence, des futures vacances, de la mondialisation, des extrémismes, de la culture en général, de Facebook et Twitter, du football, de l'accélération de la destruction de la nature. 
Quelques extraits de ces échanges fructueux et respectueux de l'avis des autres. Une famille modèle de 2020 comme il en existe beaucoup !
 
Voici quelques extraits de ces échanges fructueux et respectueux de l'avis des autres. Une famille modèle du temps actuel, comme il en existe beaucoup !
 
- Je comprends que ce n’est pas facile pour vous les jeunes et les étudiants de ne pas pouvoir faire la fête mais réfléchissez bien, nous on a vécu à vos âges la guerre, la grippe espagnole, la crise de 1929 ! On n’avait pas d'ordinateur ni de téléphone portable ni Skype !
- Grand père c'est du passé ! Je compatis, mais nous sommes une génération sacrifiée par rapport à Papa et Maman qui ont vécu les Trente glorieuses, pas de chômage, pas de sida ! 
- Et que pensez-vous du développement dans certaines universités de ces censures d'intervenants en fonction de leurs idées alors que l'Université était et doit être un lieu d'échanges de confrontations d'idées ? Et tous ces délires progressistes, cette idéologie décoloniale, ce féminisme radical, le racialisme ?
- Et le pillage de notre recherche ! Mon meilleur ami, un brillant chercheur, vient de partir aux États-Unis car il sera payé trois fois plus que chez nous ! Et notre industrie, presque tout est fabriqué à l'étranger ! La mondialisation, c’est une belle utopie qui ne profite qu'à quelques privilégiés ! Il faut essayer de reproduire au maximum chez nous et acheter des produits locaux directement aux producteurs…
- Comment va-t-on rembourser la dette ? On va nous créer de nouveaux impôts, des taxes, voire nous prendre une partie de notre épargne !
- On ne comprends plus rien ! Les restaurants sont fermés, comme les lieux de culture, les cinémas, les théâtres, les salles de concerts, les petits commerces non-essentiels et pas les supermarchés !
- Qui croire ? Les scientifiques ? Les médecins ne sont pas d'accord, voir se battent comme des chiffonniers dans les médias… Et les vaccins, sont-ils tous fiables et pourquoi afficher autant de retard dans les décisions ?
- Alors vous nous avez bien dénigrés, ignorés, mais maintenant vous êtes bien contents que nous les éboueurs, les livreurs, les caissières de supermarché, les techniciens de surface, nous assurons le travail en plein confinement !
- Je suis à bout, nous n’avons pas assez de personnel, pas assez de lits, plusieurs collègues sont décédés, on est obligé de reporter des interventions, on ne peut pas continuer comme cela il faut nous aider…
- Toi mon petit-fils, je t'aime bien, mais tu ne connais rien à la vraie vie sur le terrain… Tu n'as pas d'expérience, tu es suffisant, tu manques d'humilité… Toi et tes collègues énarques vous nous avez conduits dans le mur, à Colombey-les-Deux églises, le général doit se retourner dans sa tombe…
 
 - Et toi ma chérie Monica, comment ça se passe ?
- Je continue à tourner des films dans le respect des gestes barrières mais ces films risquent de ne jamais sortir au cinéma et être directement produits en streaming. Je ne suis pas à plaindre au contraire de la majorité des intermittents du spectacle, c'est très difficile pour eux…
 - C'est désespérant, ces stades de foot ou de rugby sans spectateur, pas d'ambiance, ça me manque… J'attends avec impatience le premier match où le stade du Parc des princes sera complet pour supporter mon équipe favorite, et les concerts me manquent aussi…
- L'après me fait peur car il y aura beaucoup de faillites, de nombreuses dépressions et ce télétravail a des avantages, mais il y a de moins en moins de rapports sociaux."
- Beaucoup de gens pensent à s'installer à la campagne ou à la mer et travailler en télétravail, et se rendre aux bureaux qu’une ou deux fois par semaine.
- D'où vient réellement ce virus ? Qu'est-ce exactement cette histoire de laboratoire français installé en Chine ? L'avènement de la Chine me fait peur, que va-t-il nous arriver quand la Chine nous commandera ?
- Vous avez vu toutes ces terribles histoires d'incestes chez des personnes célèbres… C’est venu après les saletés du clergé… C'est incroyable, c'est vraiment intolérable, non ?
- Allez, oublions tout pour ce repas, à la vôtre ! J'ai choisi le meilleur champagne de la cave et en vin les meilleurs crus. Mamie a fait un excellent gratin dauphinois, une bûche maison, moi j'ai ouvert les huîtres, acheté des truffes et du caviar… Allez les enfants, c'est l'heure d'ouvrir tous ses paquets posés sous le sapin !
- Joyeux Noël à tous ! Que Dieu vous préserve… L'avenir sera meilleur et je vous donne rendez-vous cet été pour un immense barbecue et un feu d'artifice. Vous pourrez tous aller en vacances, soit à la mer, soit à la montagne, ou dans les pays du monde entier !

LA PEUR, UNE TRAGÉDIE HUMAINE / Patricia
 
   
        Au petit matin de début mars 2021, elle se leva plus tôt qu’à l’accoutumée. Sa tête bien lourde semblait ne plus répondre correctement. Elle était engourdie, pleine de douleurs autour des yeux, les tempes résonnaient d’un bruit sourd et les oreilles sifflaient comme un vieux chef de gare proche de la retraite. Et puis, plus rien, black out... Un blanc ou un noir comme au cinéma entre deux scènes. Mais là que c’était-il passé ?...
- “ Qu’est-ce qui vous arrive ma petite dame ?
Le regard sur elle était bienfaisant.
-“Cela n’a pas l’air très grave”. Elle acquiesça d’un petit rire nerveux. Les masques étaient enlevés, des mines gaies la scrutaient, les plaisanteries fusaient, la vie continuait sans gravité, ni pathos. Mais cette vie ordinaire, sympathique, s’apprêtait à se bousculer. 
 
Après un petit trajet dans un Paris encombré, elle traversa un couloir qui servait de refuge à une file d’attente aux mines blanchâtres. Les patients, comme les surnomment les institutions avec humour, n’exprimèrent aucun son à son passage, aucun étonnement. Toux, œil vitreux, corps fatigués tenaient lieux encore de vitalité affichée. Elle n’y trouva pas de place, un homme nerveux vint à sa rencontre. Il lui indiqua rapidement une pièce plus retirée et lui pria de ne pas y bouger jusqu’à nouvel ordre.
Il devait être onze heures du matin, quand elle émergea d’un sommeil difficile, après une heure ou deux d’attente sans repaire, une plaque froide dans son dos vint lui servir à nouveau de réveil. Elle devait visualiser l’état de ses poumons. Dans un brouillard comateux et incommodément installée sur une chaise fauteuil rigide, elle réfléchit aux progrès des sciences et techniques. Puis deux goupillons s’invitèrent dans ses narines sans commentaires, ni douceur…
-Vous ne bougerez pas jusqu’aux résultats, puis vous serez transférée. La salle resta vide et toujours aussi impersonnelle.
 
            Les résultats se firent attendre et vers neuf heures du soir, elle fut accompagnée vers une chambre provisoire avec un ersatz de repas. Ouf ! Dormir et encore dormir, cette perspective résonnait dans sa tête, fébrile et assommée par la fièvre.
Au réveil d’une nuit de plomb, deux petits jeunes étaient sensés l’accompagner dans un nouveau service.
Elle était testée positive à une espèce de virus qui allait faire parler de lui encore longtemps. Et bouleverser la planète.
Les petits stagiaires complètement pressés s’étonnaient qu’elle veuille se changer :
- Ce n’est pas la peine de vous habiller Madame, vous allez dans une autre chambre. Restez en pyjama.
            - Mais vous m’avez dit que nous sortions pour un autre service et il fait à peine dix degrés dehors. Ce vêtement d’hôpital me couvre à peine le corps, répondit-elle.
            - Ce n’est pas un problème, Madame, le virus n’aime pas le froid et nous sommes des rapides ! surenchérit l’un deux, fier de sa trouvaille.
            Surprise par les réactions qu’elle avait observée depuis deux jours, elle mis cela sur le compte de l’inexpérience et se couvrit plus que d’ordinaire avec pull-over, manteau, écharpe.
Enfin installée sur un fauteuil roulant, ils déambulèrent avec une allure de jeunesse qui se défoule. Les bâtiments défilaient et les rires fusaient. Cette bonne humeur lui faisait du bien, les gestes étaient vraiment efficaces, mais la simplicité manifeste lui apparaissait, à ce moment là, un peu juste, pas assez rassurante.
 
            Après avoir salué et remercié ses accompagnateurs fantaisistes, à l’arrivée d’une porte dérobée, elle fut reçue, en haut d’un escalier assez raide, par deux infirmières gardant une grande distance. Elles se posaient mutuellement la question de l’installation :
- On la place en chambre à deux ou individuelle ?
La seconde trancha :
- Elle est la première, chambre individuelle…
Enfin une chambre pour elle. Elle était arrivée…
 
Seule dans une grande pièce en T sans lumière extérieure, il lui fallut quelques temps, deux journées peut-être, pour réaliser et trouver les volets clos derrière les rideaux tirés. Elle s’empressa de les ouvrir pour sentir à nouveau la ville et son bouillonnement.
 
            Ces deux premiers jours, pour toute visite, elle ne vit que la femme qui servait à manger et un infirmier lui proposant un doliprane en attendant le médecin qu’elle pourra voir le lundi car nous étions le week-end.
Ces deux personnes en service se recouvraient tout le corps de plastique, pantalon, camisole, lunettes, chapeau, sur-chaussures, masque pour arriver jusqu’à elle, et repartir aussi furtivement.
Un grand carré volumineux servait de poubelle avant la sortie de la chambre pour y déposer tous les résidus plastiques.
 
            Le lundi comme prévu le médecin passa, un interne. 
Sans l’ausculter, après un interrogatoire bien précis, il prescrivit un antibiotique trois fois par jour à forte dose.
Ce traitement compliqua les allées-venues du service et des tenues à usage unique. Un affolement se fit sentir. Petit déjeuner le matin à heure non fixe de sept à onze heures, bien que l’antibiotique devait être pris pendant le repas, une tenue. Prise de tension et surveillance de l’oxygène trois fois par jour par un stagiaire aide-soignant, obèse, dont le visage suait à grosses gouttes et se répandaient.
Elle se demanda si cette sueur était causée par la peur ou par l’engoncement du vêtement hermétique. Les deux semblaient jouer en écho, car les gestes tremblaient, les yeux fuyaient, la voix était sourde et apeurée.
Ce jeune homme lui était sympathique. Il émanait de lui une tendresse et un dévouement. Elle était embêtée pour lui, comme un peu complice ou responsable de son état de fragilité. Peu de mots s’échangeaient.
La tâche semblait trop difficile sans rajouter le poids de l’échange ou des questions. Idem pour l’infirmier ou l’infirmière qui apparaissait tel un éclair pour déposer sur la table de chevet, trois fois par jour, le médicament, trois tenues. Elle comptabilisa, elle n’avait rien d’autre à faire, trop fatiguée pour lire ou écrire. Elle dormait entre quinze et seize heures par jour…
Trois tenues avec le plateau repas qui variait peu, plateau avion, insipide de mémoire mais de toute façon, le goût et l’odorat lui manquaient affreusement, repas carton dont une journée avec pénurie de pain et le lendemain pénurie de chauffage. Une tenue pour le réparateur.
Neuf habits complets trouvaient refuge dans la poubelle, vidée le soir. Pas un seul ménage en six jours, administré dans la pièce ou dans la salle de bain attenante, cela lui convenait.
Elle pouvait dormir tranquille, toujours dormir, le corps réclamait. Les serviettes de toilette et le pyjama en papier étaient aussi à usage unique, changée tous les jours par elle-même, et déposé dans la corbeille après la toilette. Elle ne vit pas les jours passer. Il lui manquait tout en substance délicate, sauf le sommeil.
 
Au bout de cinq jours, le médecin lui proposa de sortir le lendemain, elle accepta, ne sachant pas encore que les jours dangereux pour un malade infecté se situent à partir du huitième jour. Dedans ou dehors, elle s’en remettait aux compétences de la médecine de l’époque.
Le jour dit, elle attendit patiemment son dossier médical de sortie. Midi, quatorze heures, son chauffeur s’impatientait sans pouvoir pénétrer dans les locaux. L’infirmier, peu aimable lui invectivait de partir.
Elle était désorientée sachant qu’il ne faut pas arrêter un traitement en cours, principalement d’antibiotiques. Il ne voulait rien entendre, si il n’y avait pas d’ordonnance, c’est qu’il y avait une bonne raison, elle devait partir…
 
Avec ses dernières forces, elle refusa, lui tenant tête. Il revint une heure plus tard avec une prescription. Le médecin s’excusait, panne d’ordinateur… Elle put enfin partir, mais la peur s’était insidieusement installée en elle…