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Rappels historiques pour se situer
Désireuse de ne pas rester seule chez elle à ne rien faire depuis le départ de son mari sur le front, Rachel Lefèvre avait décidé de devenir infirmière et elle se présenta au nouvel hôpital militaire récemment installé à Bolbec dans une grande maison bourgeoise.
- Bonjour je voudrais voir l'officier-médecin…
La secrétaire alla le chercher et l'homme reçut la jeune femme avec courtoisie.
 
Elle commença dès le lendemain, chargée d'accueillir une dizaine de blessés.
La nuit tombait lorsqu'une nouvelle voiture de la croix rouge s'arrêta devant la grande maison de briques. Rachel sortit et alla voir le blessé allongé à l'intérieur. L'homme ne se sentait pas très bien, touché par des éclats d'obus à l'épaule et à la jambe droite. Il crachait aussi du sang.
- Je vais peut-être mourir, mes poumons son touchés…
Rachel lui répondit :
- Nous allons vous soignez, n'ayez pas peur…
Rachel s'occupa de renouveler le pansement du blessé et l'homme s'endormit calmement.
Elle repensa alors à une lettre de son mari Maurice reçue quelques jours auparavant qui lui racontait ses terribles journées à l'infirmerie de secours installée tout près des combats que menait son régiment.
" Le jeune Marcel Lelièvre était tombé, inconscient sous un grand cheval noir blessé lui aussi. Le jeune soldat a essayé de se relever mais sa jambe était à moitié coupée par les sabots de la pauvre bête tant elle pesait sur lui… Il avait aussi une épaule fracassée par une balle ennemie. Les brancardiers me l'ont amené en piteux état.
Le lendemain, le jeune homme se réveilla dans l'infirmerie et je lui ai dit : Je suis le lieutenant de médecine Maurice Lefèvre. J'ai été obligé de vous amputer, soldat. L'homme se mit alors à hurler de chagrin et moi, j'ajoutai : excusez-moi, mais si je ne l'avais pas fait, vous seriez mort de gangrène à cette heure… Il y a de plus en plus de blessés autour de moi, des hommes qui se connaissent entre eux, du même régiment, de la même section… Imagine, ma Rachel, comme tout cela est bien triste… Certains grands blessés veulent se suicider quand ils se réveillent amputés, le visage arraché ou les yeux morts… D'autres préfèrent leur état, pourvu qu'ils soient vivants, car pour beaucoup, la guerre est finie et ils vont retourner dans leur foyer… Je t'avoue, ma chérie, que j'ai beaucoup de mal à regarder les hommes qui ont eu le visage perforé, éclaté, arraché… Tout cela n'est que malheur et misère… La guerre est maudite…"

Avec sa blouse et son foulard blanc Rachel passait aux yeux de tous les blessés qui arrivaient en masse par le train du soir pour une bonne infirmière.

Un soir, harassée, épuisée, les mains encore ensanglantées, Rachel rentra chez elle. Dans l'obscurité du vestibule, elle ouvrit sa boite aux lettres. Elle y découvrit une lettre…
-Oh, mon Dieu, c'est une lettre du front ! Tremblante, elle entra chez elle, traversa le vestibule, s'assit et ouvrit la lettre. L'écriture lui semblait étrangère.
" Chère Madame Rachel,
Nous vous envoyons cette lettre pour vous annoncer le décès de votre mari. Cet officier-médecin, homme de paix, brave et courageux, a perdu la vie pour notre patrie. Grâce à lui, nous avons pu sauver beaucoup de vies. Nous ne le remercierons jamais assez…
Nos plus sincères condoléances.
Signé le caporal Borel, principal infirmier du 11° régiment d'infanterie cantonné à Vitry -le- François. "

Envahie de tristesse, le visage de la jeune femme se décomposa et elle se noya aussitôt dans ses larmes. Elle n'en revenait pas…

-Comment une telle chose a-t-elle put arriver ?! Pourquoi moi ? Que vais-je devenir ?
Restant digne mais anéantie, Rachel Lefèvre resta perplexe quelques instants et elle décida alors de sortir pour prendre l'air.
Elle se rendit à l'épicerie du centre pour acheter du Calva pour tenter d'accompagner ou de calmer sa terrible douleur.
En rentrant chez elle, elle rencontra deux jeunes femmes du peuple, vêtues de robes sales. Scrutant ses yeux et voyant son désespoir, curieuses, elles l'arrêtèrent d'une voix douce :
- Pourquoi tant de peine sur le visage d'une si belle femme ? dirent-elles à Rachel.
Encore sous le choc de la terrible nouvelle, Rachel hésita avant de répondre, puis elle se lança :
-Je viens de recevoir une lettre du front m'annonçant la mort de mon mari…
Les deux femmes essayèrent de la consoler comme elles le pouvaient et ensemble Laura et Paulette Lanquetot décidèrent d'accompagner Rachel chez elle afin de ne pas la laisser seule dans son désarroi.

En voyant la plaque de cuivre " Docteur Lefèvre ", Paulette se dit soudain qu'elle connaissait cet homme, c'était ce médecin qui était venu en urgence chez elle quand son pauvre mari s'était suicidé… Les deux femmes avaient alors un triste point commun, la disparition soudaine de leurs conjoints…

Le temps passa et Rachel Lefèvre revit régulièrement ces femmes généreuses qui l'avaient soutenue avec une grande gentillesse. Elle fréquentait régulièrement l'hôpital auxiliaire où un jeune blessé la comblait de sourires et de phrases de réconfort.

De leurs côtés à l'usine d'armement, Laura et Paulette Lanquetot n'étaient plus les nouvelles embauchées un peu timides, mais désormais elles défendaient toutes les ouvrières, devenues de véritables portes-paroles !