La situation était critique pour Jeannot, il se disait qu'il était trop jeune pour mourir, d'un moment à l'autre il pouvait se faire emprisonner et torturer voire tuer. Il avait tellement peur que ses tremblements retentissaient dans tout son corps, des sueurs froides coulaient le long de son visage, son arme placée dans son holster donnait l'impression qu'il allait le placer sur lui pour en finir immédiatement, la peur pour un jeune homme peut ne pas être sans conséquence.
S'occupant des armes et des munitions de sorte que l'utilisation soit le plus utile possible, Pol jetait quelques regards sur le jeune homme qui se balançait d'avant en arrière. Il essaya de trouver les mots pour le réconforter, mais il ne le connaissait pas, il ne savait pas si son comportement allait le faire exploser à un moment ou à un autre, mais il tenta avec méfiance :
- P'tit, ne tremble pas à ce point !
Jeannot ne répondit point.
- Si tu trembles et si tu n'as pas confiance en toi, tu te feras tuer à la première occasion !
Pol voulait surtout présenter la situation pour faire comprendre à Jeannot que ce n'était pas perdu, et qu'il fallait toujours avoir confiance en soi.
Après quelques instants, Jeannot répondit :
- Mais j'ai peur !
- Et tous ceux qui sont en train de se battre au moment où nous parlons, crois-tu vraiment qu'ils n'ont pas peur ? La peur nous paralyse, mais la force de notre pays face à ces bourricots d'Allemands nous fait avancer... Seulement, si des gens comme toi se défilent, nous serons perdus et nous aurons beaucoup de mal à nous racheter !
Malgré le caractère dur et fort de Pol, Jeannot se sentit plus soulagé de se rendre compte qu'il n'était pas le seul à avoir peur et il sentit le courage et la volonté de sauver sa patrie, et voilà que Jeannot se sentit revivre. Mais après avoir mis Pol en colère, il ne trouva pas le courage de lui parler.
-Désolé de m'être emporté mais je n'avais pas d'autre solution, prononça Pol d'un ton calme et désolé.
- Ce n'est pas grave, vous avez fait ce qu'il fallait.
 
- Au fait, je m'appelle Pol et toi ? répondit-il en oubliant la situation.
- Moi c'est Jeannot, je suis arrivé à l'armée quelques mois avant la déclaration de guerre...
- Ah ! Alors tu es presque tout frais ! lança-t-il en éclatant de rire. Ne t'inquiète pas, je te donnerai quelques conseils de vétéran.
- Merci, Monsieur...Euh, Pol.
- Eh, toi ! Comment t'appelles-tu ? questionna Pol.
- Jeannot, Jeannot Chatel, répondit-il.
- Eh ben, mon petit Jeannot, quel âge que t'as ?
- Dix-huit ans, M'ssieur.
- Ah... Bon. Pour moi, tu ne devrais pas être de cette guerre, mon gars, tu es bien jeune et tu as encore de belles choses à vivre, je vais t'apprendre à faire la guerre mais juste une question : as-tu une petite amie ?
- Oui, elle s'appelle Eugénie.
- Eugénie ! Eh bien, primo pense à ta petite amie dans les moments durs, survis pour elle, d'ac ?
- J'suis d'accord !
- Secundo, garde toujours ton fusil près de toi quand tu seras dans les tranchées, garde aussi des balles près de toi, mon gars.
- Pourquoi, l'ancien ?
- Au régiment, quand j'ai fait mon service militaire, on m'avait appris à toujours prendre plusieurs balles d'avance...
- ça parait évident !
- Ouais, ça parait évident, mais beaucoup de soldats l'oublient et ils se font tuer.
- Et c'est tout ?
- Et bien presque tout...
- Que reste-t-il à dire ? demande le jeune militaire.
- Tertio et Quatro : reste toujours sur tes gardes et ne pleure pas la mort d'un de tes amis dans la tranchée, c'est tout ! Bon, allons manger mon ami !
- Vous savez comment je m'appelle, moi, mais je ne connais pas votre nom.
- Pol Costat pour te servir, si je peux me permettre de te tutoyer.
- Bien sûr, vous le pouvez !
Un coup de feu retentit et le clairon sonna. Jeannot et Pol partirent au front. Pol et Jeannot se mirent sur le flanc droit des tranchées, précisément là où les ennemis lancèrent leurs obus. Ils eurent beaucoup de chance.
 
Soudain, des coups de feu claquèrent dans le lointain, puis ils se rapprochèrent.
-Allez, viens mon garçon, cria Pol sous le bruit infernal de la mitraille.Il faut y aller !Suis-moi, garçon !
- Je te suis, hurla Jeannot, terrorisé.
Alors que les soldats des deux camps s'affrontaient avec une terrible violence, le jeune Jeannot s'étonnait d'être toujours en vie. Il faisait sombre maintenant et le canon finit par se taire.
-Je suis fatigué, j'ai faim, j'ai soif, c'est terrible, murmura le jeune soldat.
-Oui, gamin, tout le monde ressent cela après la bataille...
Pol voulait le rassurer.
- Mon barda me pèse, mes jambes sont si lourdes...
-Tu t'y feras, petit, tu vas voir, là, ce n'est que le début !

 
Le jeune soldat avait l'impression que le combat de l'après-midi avait duré de longues heures. Lorsque la nuit commença à tomber, comme tous les soldats du monde, il rêvait d'une bonne soupe chaude et de la chaleur des siens. Chaque soir, c'était la même chose et des rires fusaient dans les campements de fortune.

Quelques jours plus tard, les deux soldats avaient bien mérité un peu de repos. Pol décida de rendre visite à Jules, le maréchal-ferrant.

 
 

 

Les deux hommes s'étaient rencontrés au moment du départ, dans le centre de mobilisation. Ensemble, ils avaient voyagé dans le même wagon de chemin de fer qui les enmenait vers la mort.

Jeannot suivit l'ancien pour se rassurer et fuir le terrain des massacres. Lorsqu'ils arrivèrent aux grandes écuries de campagne, Jules s'affairait à la forge. Il interrompit son travail et voyant les visiteurs, il s'esclaffa :
- Oh, salut, mon vieux, je suis content de te revoir !
- Bonjour Monsieur Costat, dit Jules. Vous voulez boire un p'tit coup ?
 

Charlotte Welzer au travail

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