Créations Images & Mots
Photographie et littérature comme langages et écritures associés
 
 
Alain Bellet et Patricia Baud ont développé, depuis une douzaine d'années, deux volets principaux à leurs activités professionnelles réciproques d'écrivain et de photographe :
Un volet de créations artistiques personnelles, littéraires (romans, nouvelles, documentaires), photographiques (création d'images, illustrations d'ouvrages et expositions) agrémenté d'un "regard sur" quand ce travail d'expression artistique se situe en relation avec une démarche culturelle, sur le terrain de la mémoire individuelle et/ou collective.
Le second volet d'activités est né d'une réflexion, de constats, partant de ces deux disciplines artistiques en articulation.
Cette complémentarité de genres, recherchée et renouvelée, leur a permis de conduire et d'expérimenter des projets divers. Et par-delà, faciliter, par leur synergie et dans leur spécificité, l'expression d'autrui.
Cette démarche les a amenés sur des chemins de traverse où l'expression / création mutait construction individuelle ou collective, d'une expérience culturelle à une appropriation identitaire personnelle ou d'un groupe.
 
Démarche
Proposer un atelier double images et mots et participer à un processus de formation ou de formation permanente vient de l'idée qu'il est particulièrement intéressant d'aller à la rencontre d'un groupe par un travail de création collective et de passer par une connaissance ou une réconciliation avec soi-même pour agrémenter tout type d'apprentissage. Comme il apparaît fondamental aux deux auteurs de questionner l'histoire pour appréhender le présent.
 
Le chantier d'écriture littéraire
Il est un lieu de réconciliation avec la langue et son propre imaginaire. Il est construit sur une base ludique permettant d'entrer de plein fouet dans l'écriture littéraire, faisant alterner une écriture individuelle et une approche collective de la structure d'un récit.
La mise en commun et la lecture à voix haute permettent de travailler l'écoute et de découvrir la confiance réciproque à l'égard d'autrui. Différentes thématiques peuvent être proposées, débouchant sur des genres littéraires divers (nouvelles, bribes, fragments, poésies). En aval, avec les textes écrits, approche de la réécriture, de la mise en page par ordinateur.
 
L'atelier photographique
L'image comme expression. Un langage, un acte qui libère. La photographie donne à chacun le sentiment de sa singularité, la personnalisation du regard que l'on peut apporter sur un patrimoine commun.
C'est la capacité de prendre du recul, d'analyser et de s'affirmer en tant qu'être pensant. De mettre en mouvement ce que l'on a de plus profond en soi." En regardant les choses, je peux être vu. Et en éprouvant des sensations pour les choses et en fixant ces sentiments sur un film, je peux être compris "
 
Les deux groupes en synergie
La création de textes individuels ou collectifs à partir des images conçues en groupe permet l'articulation des deux disciplines pour aboutir en fin de parcours à une production valorisante.
Ce projet consiste à faire vivre les mots et des photographies, animer des images et faire émerger une écriture souvent difficile à s'affirmer.
Il donne des outils et développe la confiance pour aborder par l'expression, l'histoire, le vécu, le quotidien, la culture.
Cette démarche induit une série d'allers et retours entre un langage imagé et une narration centrée plus particulièrement sur une quête identitaire qui fortifie l'imaginaire ou le récit réel recomposé.
Entre ces deux pratiques artistiques, une véritable synergie s'installe. Jeu d'échos, d'amplification ou de démarcation, le duo Mots et Images devient alors un véritable jeu de miroirs entre le vu et le dit, le voir et l'écrit.
Des sensibilités différentes peuvent alors s'exprimer à l'aide d'outils pluriels, mis en relation. Ces pratiques permettent l'expression des participants, utilisant la langue comme véhicule d'une pensée. De son côté, la photographie souligne les représentations personnelles ou symboliques. Il ne s'agit jamais de textes illustrés sagement par la photographie, mais d'inventions de passerelles entre le travail littéraire et un autre langage artistique.
 
Ce qui se passe dans l'implication, impacts des deux chantiers
Lorsque l'on est confronté au manque, quel que soit le manque, des allocataires du RMI, des Sans Domicile Fixe, des jeunes en Centre d'Éducation Renforcée, des élèves de Centres Régionaux de Formation d'Apprentis, ou des détenus (enfermement dans l'extériorité, privation de liberté, absence de perspectives, angoisse née d'une terrible fragilité sociale), on rencontre les mêmes réactions d'authenticité.
L'écrivain retrouve toujours le fait dominant qu'un groupe " défavorisé " chemine assez vite vers l'essentiel, des rencontres humaines, sans enjeux coercitifs, dénuées de toute mascarade.
Faire écrire des personnes en réinsertion, c'est casser pour elles-mêmes l'image donnée par la fragilité sociale, pour qu'existe enfin un terrain d'entente, de réconciliation.
Alors, une écriture personnelle et collective pratiquée en groupe permet de gommer les hésitations, de diminuer ou de dépasser les craintes et les peurs de ceux qui s'expriment pour leur redonner confiance en eux-mêmes et créer, au-delà de la rencontre de papier, l'essentiel. L'écoute.
L'écoute s'apprend. Elle se travaille. Une production littéraire individuelle et collective oblige à l'échange, à l'attention de l'un à l'autre. Proposer d'écrire uniquement d'une manière individuelle équivaudrait en fait à renforcer la serrure de chaque être, verrouiller le cadenas de chaque tête.
 
Le travail d'écriture induit une réconciliation avec sa propre histoire
Si l'on considère l'importance statistique des exclus et des personnes marginalisées socialement, force est de s'alarmer devant la montée d'un illettrisme de masse produit par l'inadaptation du système scolaire aux réalités d'aujourd'hui. Le combattre par un retour de l'écriture, un retour de la parole libérée et partagée, s'avère être l'une des armes les plus efficaces pour s'attaquer à l'exclusion, née d'une privation de savoir-faire et de savoir être.
Cette désagrégation du Soi s'accompagne d'un désintérêt massif pour l'exercice minimum de la citoyenneté, tuant sournoisement l'expression identitaire et l'imaginaire d'autrui au passage.
 
Un processus de démystification du rôle de l'écrit, de la place du savoir, de celle de l'écrivain, s'opère peu à peu. L'auteur devient passeur de permissivité, aiguilleur de sens, un guide sans discours pré-établi aux croisements des sentiers à prendre.
Indéniablement, ce qui s'invente dans les ateliers est une nouvelle place du rapport à l'auteur, de la relation de l'homme ou de la femme aux mots, une nouvelle organisation intime face au réel, avec la société telle qu'elle se donne à voir.
Les vieilles catégories sont bousculées. Dans les relations avec des hommes et des femmes qui se mettent à écrire, la perception de la littérature elle-même commence à se modifier. Avant l'expérience, elle n'était jamais perçue comme une circulation de paroles, un outil d'émancipation, un moyen d'ouverture sur le monde.
Vivante et fragilisée, elle devient l'espace d'une démonstration concrète : les imaginaires des uns et des autres existent et ont tous de la valeur.
Écrire et faire écrire dans l'espace social de la fragilité, c'est l'instant où les mots se confondent avec les rêves éveillés, l'instant où leur véracité se conjugue avec une incroyable force qui va les transfigurer.