Frontières / frontières

ALAIN BELLET / La frontière garde le possible, devrait le protéger de l’invasif, hélas, elle bloque aussi l’étrange, le neuf, l’inconnu. Comment conserver et s’enrichir ? Comment se rassurer dans l’ouverture ? Je surveille mes frontières avec attention le plus souvent. Celle du langage en premier lieu, chasse aux lieux communs, au tic de langue, à la facilité. La langue est la plus belle des frontières naturelles, elle est le passage indiqué pour la réception des idées, des connaissances, elle est confrontations et échanges. Et avec le temps se dressent d’autres frontières.  Celle du temps qui passe et qui distille l’essentiel, loin des pertes et des lassitudes. Le temps se compte à l’aune de la barrière de l’avant et de l’après. Entre les années de plus et les années de moins, la frontière s’avère mortifère. Frontière encore que celle de l’intimité ; du jardin secret, du potager de sa tête, du filet protecteur que l’on tend parfois sans qu’il ne paraisse, dans la plus grande invisibilité. Je me livre, mais ne délivre pas de codes d’entrée, je joue l’ouverture mais pensez, le blockhaus est solide ; aux barrières du quant à soi, la garde est redoublée, relevée, changée. Sa frontière se résume finalement à son propre territoire, réel ou symbolique, affiché ou secret. On passe, on ne passe pas, c’est selon le douanier qui squatte notre conscience, notre volonté, notre terre de survie. Repos, la douane, repos, laisse entrer. L’autre est toujours là, immobile devant la barrière, avec les fleurs ou le char d’assaut, la bonne bouteille ou un trop plein d’acidité… Être ou ne pas être verrouillé ? Passer ou se trouver bloqué ? Sous nos propres barbelés des échappées vagabondent…  Des images, des mots, des regards, des sentis, s’échappent. Alors ma liberté repousse ma frontière d’un revers de main, avec ses portes, ses verrous, ses cadenas et ses codes secrets. J’avance et fais grandir mon territoire, j’avance et j’arrive chez moi, ce no man’s land que personne n’a colonisé, cette friche où de la vie reste à inventer, c’est-à-dire à écrire pour les frontaliers de mes amis sillonnant volontiers des chemins buissonniers.


 PATRICIA BAUD / L’entre-deux. Entre deux points se construit la ligne, ligne de force ou de démarcation.
Entre deux points … de vue, il y a le Toi qui me tends l’idée comme un cadeau à prendre ou un sésame à négocier.
 Et, il y a le Moi, le gros MOI vorace, il se défend, tergiverse, se travestit, c’est l’Auguste pris dans sa propre pantomime de survie.
Il y a le Soi, porté par une humanité plus forte. Sa tendresse dégagée rayonne, doux soleil libéré, il embrasse le printemps, les enfants, ses amours.
Entre-deux, il y a ma peau, blanche pour me protéger, brune pour m’exposer. Souvent ourlée par intériorité, perlée de souvenirs ou bien trop lisse car il convient de s’échapper des grandes laideurs, de mes incommensurables peurs. Mouillée à l’occasion, pour célébrer les gros bonheurs, ma solitude, l’indicible de l’ennui, la tristesse de la blessure.
Entre deux mondes, deux pays, deux frontières, nous pouvons percevoir les miradors, les malveillances, les interdits. Les enfants qui jouent sur les terrains vagues pas encore défrichés, dans les tunnels de survie aux reliefs explosifs.
Les chauffeurs de camions fatigués, désolés, en attente d’une livraison trop sommaire face à de terribles réalités. D’une naïveté exemplaire, toujours prêts à risquer leur vie pour des gouvernances qui les bernent. Raisonneurs d’opérettes, ils essayent de transformer la colère des hommes face à eux, en espoir de revanche, de partance.
Entre-deux instants, il y a les points de suspensions, de l’avant et de l’après de l’idée qui se transforme. Elle court sur la plume d’un oiseau stylisé en stylo égaré, intermède silencieux entre le senti et le figuré.
Entre-deux moments de répit de joie ou de luttes, l’ennui, la mort rôde, sentinelle d’un devenir en perdition.
Entre-deux rencontres, il y a l’espace encombré d’un semblant de vraie vie où la gaieté se mute entremetteuse, prometteuse.

 BRIGITTE VOISIN / Toute ouverture vers l'inconnu, le vivant ; les humains, fait barrage à l'ignorance, la peur de l'autre, la confusion, la bêtise.
La littérature est source d'enrichissement, grâce à la découverte de nouveaux mondes, d'arts de vivre, différents.
Source de culture, de réflexion, d’amusement, de remise en question, de curiosité, d'ouverture d’esprit. Source de joie, elle nous interroge sur nos convictions, nos contradictions. Elle comble le vide et l’absence, console, rassure, apaise.
Sans un livre auprès de moi, je ne suis rien, ne vis rien. J'attends fébrilement l'heure où tout s'apaise, où le silence s'installe, pour déguster un nouveau roman, la tête dans les nuages.

ALIX DUONG
Face à toi, face à moi.
Riches ou Pauvres, sans foi, sans toit.
Ose, oublie, passe
N’empêche pas de vivre, casse !
Tuer, c’est la frontière !
Imbécile et incomprise, la Terre.
Entre deux corps amoureux,
Rares sentiments sans limites
Encore et encore l’Amour se délimite.
Sache que seule toi, la Mort, est ma frontière, et encore ?
 
 
COLETTE PICHON /
 « Le pays premier peut être une prison, il peut être un royaume suffisant, une source vive, un trésor. Je ne sais pas bien où passe la frontière, entre la chance et le risque, le partir et le rester, l’attachement ou l’arrachement. » Marie-Hélène Lafon
 Son pays, à elle, ressemblait à une prison. Depuis longtemps, elle s’évertuait à trouver la faille, dans le mur, l’endroit par où elle allait s’échapper.
Elle scrutait, à l’affût du moindre interstice, et se refusait à l’évidence : elle était condamnée à rester, calfeutrée, cadenassée dans cette chambre qui était son seul pays, car elle n’avait pas cette chance de pouvoir partir, sans revenir. <elle pensait que son devenir c’était l’ailleurs, le dehors, elle aurait voulu vivre sana attachement, avec détachement.
Mais chaque jour c’était l’arrachement, quand elle contemplait la fenêtre condamnée, la porte irrémédiablement fermée.
Elle ne savait pas jusqu’à quand elle pourrait tenir, si un jour elle pourrait partir plutôt que rester.
Un jour elle se dit que son seul pays, son trésor, c’était peut-être là, hors de ses propres frontières, et que la seule barrière était celle de son esprit. Alors elle se permit à son esprit de rêver, au lieu de vouloir s’échapper.
 
 
NOELLA REDAIS / Depuis quelque temps, mes frontières sont devenues perméables, laissant voyager la poésie des sons jusqu'aux frontières sans fin de la création. Comment pourrai-je créer si mes sens, sans dessous dessus, ne se rencontraient pas pour jouer à cache-cache dans tous les recoins de mon corps pour faire émerger mes émotions les plus lointaines.
Faites exploser les frontières et les barricades pour entendre votre cœur susurrer à votre oreille la mélodie du bonheur. 
 

SYLVIE PETEL / Mes frontières, si j'ose m'exprimer ainsi, c'est la séparation de mon corps et de l'espace, c'est la séparation de mes organes entre eux, c'est le temps qui s'écoule entre aujourd'hui et l'avenir.
Mes frontières, ce sont la différence entre conscient et inconscient, entre psychologie et psychanalyse, frontière entre le ça, le moi entre drogue et médicaments tout n'est parfois qu'une question de quantité. Ce sont ces frontières tellement fines et friables, qu'elles sont devenues invisibles. On prétend qu'en amour l'on ne fait qu’un avec l'autre, plus de frontière mais bien au contraire ma frontière c'est toi.
Conclusion : « Mes frontières s'arrêtent là où commencent celle des autres ».
 C'est elle enfin cette fameuse frontière, toute craquelée comme une pomme flétrie, comme une peau déshydratée en l'absence de ce torrent nourricier, comme un cuir qui a trop vieilli, vieilli au point de se laisser traverser, désabuser, infiltrer. Mais sait-elle que sans elle je ne suis rien et avec elle je manque de tout ? La frontière passe là où on ne l'attend plus au détour d'un GR sans GPS, je suis sans elle.
 
 
KAREN SENTIS /
« Sur toutes les frontières, à mesure que se levaient les barrières douanières, des barrières policières les remplaçaient.» Barjavel
 Pourquoi créer des frontières, si ce n'est pour se protéger de nos peurs : de notre peur de l'invasion, de notre peur de l'Autre ? Tant de frontières s'imposent déjà à nous, comme des barrages pour aller vers l'Inconnu, nous fermant à la découverte d'autres espaces, d'autres cultures, d'autres échanges ; des frontières nous empêchant de nous grandir, de nous nourrir de l'intérieur grâce à ce qui nous entoure, grâce à ce que l'Étranger peut nous apporter et au plaisir de lui transmettre.
Frontière de la langue qui nous bâillonne, de la distance qui sépare deux corps, du temps qui s'écoule entre les générations et des souvenirs qui se perdent, frontière des aprioris et de ces idées reçues héritées de notre seule culture étriquée, frontière du qu'en dira-t-on face à un paraître qui serait si important, frontière de la maladie qui isole trop tôt, frontière de la Différence qui effraie. Partir du principe que la Différence enrichit et que plus on construit de frontières autour de soi, plus on s'isole et plus on s'appauvrit.
Creuser des tunnels, ériger des passerelles pour unir ou réunir, découvrir ou retrouver, cet Autre considéré par certains comme Différent. Dépasser cette limite qui nous a été imposée, qui s'est imposée d'elle-même ou que l'on s'est construite.
Faire exploser ce carcan qui nous modère, ce corset qui nous étouffe et aller vers la Différence et laisser venir vers nous l'Inconnu.
 
 
KAMEL IZEMRANE / L'oreille est le sens préféré de l'attention. Elle garde en quelque sorte la frontière dont la vue ne voit ou ne garde pas.
Entendre ou voir ? Quelle est la différence ?
Posons-nous la question à bonne-entendre.
Quelles limites se dégagent de ces deux termes ?
Témoignage sur écran.
Écouter pour comprendre, regarder pour apprendre.
Le son est alors un sens, l'image est réelle.
La direction que chacun de ces sens se mobilise se sépare avec la frontière qu'ils distinguent.
Deux sources d'informations qui divergent pour que l'être humain perçoit et traite puis analyse afin d'interpréter ceci par des flux d'informations donc agrandir. La perception de l'oreille par rapport à la vue se délie bien façonnement vis-à-vis de l'incorporation de l'information déterminée très distinctement par celle-ci, même si la base est identique.
À bon entendeur, merci
BRIGITTE VOISIN / Le pays premier, c'est l'enfance, lumineuse ou terne, heureuse ou pas. On y engrange des souvenirs, des sensations, des sentiments.
Prisonnier de parents qui veulent vous modeler à leur convenance. Source vive et trésor des innombrables rencontres, des confrontations, des jeux, des vacances
aux quatre coins de la France, d’amour partagé. Notre chance était d'avoir une maison de famille centenaire, accueillante, ouverte, solaire.
La chance de faire partie d'une lignée singulière, implantée dans le Bas-Berry depuis plusieurs générations. Le risque était de vivre en vase clos.
L'attachement à cette maison, à cette région était viscéral. L'arrachement et sa perte ont entrainés une souffrance indicible, un sentiment d'injustice,
un vide impossible à combler.
Mes rêves m'y ramènent souvent. Je ne sais pas où passe la frontière.