- Baptisé
catholique par le prêtre de la paroisse de la
Seigneurie de Valleraugue, quelques années
après la défaite des Camisards
cévenols, Laurent Angliviel naquit dans ce
village le 28 janvier 1726 d'une mère
catholique, Suzanne d'Arnal, et d'un père
protestant, un bourgeois de Valleraugue établi
dans le commerce des soies, le " nouveau converti " au
catholicisme Jean Angliviel. Veuf en 1729, le
père de Laurent se remaria avec
Françoise Carle, mais le jeune garçon ne
l'aimait guère…
-
- Collégien
à Alais (Alès)
- De novembre 1734 à
août 1742, Laurent Angliviel fait de brillantes
études au collège de l'Enfance de
Jésus d'Alais, créé par
l'évêque Charles de Bannes d'Avejan sur
financement royal, dont le rôle était de
réintégrer dans la " maison de Dieu "
les enfants d'origine huguenote. Devenu excellent
latiniste, le jeune garçon se soumet à
l'église romaine mais il se refuse à la
vocation ecclésiastique à laquelle ses
maîtres, déçus, le destinaient...
En témoigne sa correspondance, ces centaines de
lettres échangées notamment entre lui et
son frère aîné, Jean Angliviel, ou
leur père.
-
- La
Beaumelle à
Genève
- Revenu chez lui au "
désert " en mars 1744, le jeune homme tente une
carrière commerciale à Lyon permise par
des cousins de sa famille, en vain, il ne se sent pas
pleinement lui-même dans cette
perspective…
- Il se résolut à
affirmer sa foi protestante et après quelques
mois passés à Valleraugue, il obtint
l'aval de son père pour rejoindre
Genève.
- Le jeune homme gagne la
cité de Calvin clandestinement et prend le nom
de La Beaumelle pour que les policiers du roi de
France perdent sa trace. Durant une année,
Laurent intègre l'université de
théologie et ses professeurs pleinement
satisfaits lui confèrent le statut de "
proposant ". Malgré ses qualités
intellectuelles, son érudition, ses convictions
personnelles, La Beaumelle ne sera jamais ministre de
la foi protestante, à Genève, pas
davantage au Désert.
- Il est séduit par les
belles lettres et découvre le rayonnement de la
pensée du philosophe et écrivain Pierre
Bayle et son combat pour la " République des
lettres ".
- Passionné de culture
et du combat pour les idées, en juin 1746 il
sera reçu apprenti, puis compagnon, au sein de
la loge de Saint Jean aux Trois Mortiers. Plus tard,
sa loge lui fournira un véritable passeport
pour qu'il puisse poursuivre, sous les cieux de son
choix, son engagement maçonnique.
Parallèlement à ses études,
plusieurs de ses essais sont édités dans
le Journal Helvétique dont la " Lettre sur
l'état présent de la religion
protestante en France " où il narre la
difficile existence au " Désert " de ses
coreligionnaires.
-
- La
Beaumelle à la Cour de
Copenhague
- Décidé à
s'imposer dans le monde des littérateurs qui
l'attire avec frénésie, de nombreuses
lettres de recommandation en poche, en 1747, Monsieur
La Beaumelle entreprend un long voyage en malle-poste
à travers les états germaniques afin
d'arriver à Copenhague pour obtenir le poste de
précepteur du fils du comte de Gram, chambellan
du roi du Danemark et de Norvège.
- Fortement attaché
à la franc-maçonnerie, son
égalitarisme et ses valeurs de
tolérance, il est élevé au grade
de maître et élu orateur de la loge
Zorobabel par ses pairs. Il publie alors une
anthologie des " Pensées de
Sénèque " se faisant l'avocat des
calvinistes réprouvés et des
francs-maçons suspectés de vouloir
déstabiliser les fondements de la
société monarchique.
- Rejoignant Amsterdam en
janvier 1749, il fait imprimer un traité sur la
tolérance, " L'Asiatique tolérant ". Au
moyen de ce récit orientaliste, conçu
à la façon des lettres persanes, il
intime au roi de France, maître des " Kofirans
", d'accorder la tolérance civile pour les
anciens Réformés. Mais l'heure
n'était pas celle de l'indulgence, ni celle de
la liberté de conscience. En mai 1751, suivant
à la lettre l'Edit de Fontainebleau interdisant
le culte protestant, le Parlement de Grenoble allait
vertement condamner son ouvrage. Le livre sera "
lacéré et brûlé par
l'exécuteur de la Haute Justice, comme
scandaleux, séditieux et tendant à
renverser la religion catholique, apostolique et
romaine, et les puissances établies de Dieu, et
à troubler le repos et la tranquillité
publique ".
- En publiant
régulièrement le périodique
écrit et recopié à la main
à trente-cinq exemplaires, " la Spectatrice
danoise ", le jeune érudit désireux de
briller en société s'attaque à la
réalité sociale et politique du royaume
du Danemark, permet à ses abonnés la
découverte de textes français novateurs,
tel " L'Esprit des Lois " du philosophe Montesquieu,
et gagne quelque argent. Nommé Professeur royal
de Langue et Belles Lettres françaises à
la cour du Danemark, il se rend pour la
première fois à Paris, loge au
café Procope au centre du faubourg
Saint-Germain et fréquente avec
assiduité Montesquieu, Voltaire, l'abbé
d'Olivet, membre de l'Académie française
et bien d'autres beaux parleurs.
-
- La
Beaumelle à Paris
- Son ouvrage nommé "
Suite de la Défense de l'Esprit des lois " est
publié à Amsterdam en novembre 1750.
Avant d'entreprendre la longue route vers Copenhague
en passant par Le Havre et prendre la mer vers le nord
sur un navire de commerce, La Beaumelle achète
quelques lettres de Madame de Maintenon dont il
souhaite composer la biographie. De nouveau
présent dans la capitale française en
mars 1751, il rédige la " Gazette de la Cour,
de la Ville et du Parnasse " souhaitant
réaliser avec Voltaire une édition des "
Classiques français ". En août 1751, il
publie un ensemble de réflexions sociales,
politiques et philosophiques sous le titre " Mes
Pensées ou le Qu'en dira-t-on ? ". Reçu
comme une véritable bombe, ce livre passe aux
yeux des pouvoirs pour un traité
séditieux. Revenu à son poste, quelques
semaines plus tard une délicate relation avec
une dame de la cour l'oblige à
démissionner de sa charge professorale et de
quitter le Danemark au plus vite pour gagner la Prusse
de Frédéric II.
- Eloquent, séduisant,
d'une intelligence vive, Laurent de La Beaumelle
plaisait apparemment aux femmes et celles-ci le lui
rendaient bien.
-
- La
Beaumelle à Berlin
- Durant les six mois de son
séjour à la cour de Berlin (novembre
1751 à fin avril 1752), La Beaumelle se heurte
à Voltaire après lui avoir remis un
exemplaire de " Mes Pensées ", et attaque la
vénalité du philosophe à
l'encontre de Frédéric II. " Il y a eu
de plus grands poètes que Voltaire. Il n'y en a
jamais eu de si bien récompensés, parce
que le goût ne mit jamais de bornes à ses
récompenses. Le roi de Prusse comble de
bienfaits les hommes à talent,
précisément par les mêmes raisons
qui engagent un petit prince d'Allemagne à
combler de bienfaits un bouffon ou un nain. " La
rupture sera consommée entre les deux hommes.
De plus, La Beaumelle accuse Voltaire de propager
parmi ses fidèles la rumeur d'un recel des
lettres de Mme de Maintenon.
- De nouvelles aventures
amoureuses l'éloignent de Berlin. Plusieurs
comtesses lui accordent leur soutien, lui ouvrant leur
demeure. De nouveau sur les routes d'Europe, il
s'arrête à Francfort, puis gagne Paris
avec l'aventureuse baronne de Norbeck, sa nouvelle
conquête.
-
- La
Beaumelle à la Bastille
!
- Arrivé à Paris
avec de nombreux livres étrangers
prohibés par les parlements du royaume, La
Beaumelle s'en inquiète.
- Au plan littéraire, il
projette de publier la correspondance de Madame de
Maintenon et d'en écrire sa biographie, comme
un contrepoint, un écho critique du
Siècle de Louis XIV publié par Voltaire.
Leur querelle s'envenime et Monsieur de Malesherbes,
chargé de la censure des ouvrages illicites,
accorde à La Beaumelle le droit de diffuser les
livres consacrés à Madame de Maintenon.
Avec l'aide du maréchal de Noailles qui
l'apprécie, il rencontre les jeunes femmes de
Saint-Cyr. Les protégées de
l'institution fondée par Madame de Maintenon
misent sur le travail d'historien de La Beaumelle, et
estiment qu'il pourra officialiser le mariage entre
Louis XIV et leur bienfaitrice, réhabilitant en
quelque sorte sa mémoire. Répondant
à l'édition annotée du "
Siècle de Louis XIV " où La Beaumelle
avait souligné ses erreurs et approximations
historiques, Voltaire saisit l'occasion de
dénoncer le jeune écrivain dans un
mémoire incendiaire. La Beaumelle annote
à nouveau ce texte et en donne publication.
Usant de ses hautes relations, le philosophe riposte.
Accusé de critiquer le régent, La
Beaumelle est arrêté et se trouve
incarcéré à la prison de la
Bastille du 24 avril au 12 octobre 1753 !
- Après sa
libération obtenue par Montesquieu et La
Condamine, La Beaumelle est officiellement banni de la
capitale, mais il obtient toutefois la permission d'y
rester, s'il ne récidive pas. Il subit une
nouvelle perquisition au début 1754.
Malgré son état de santé qui se
fragilise, il rédige une nouvelle
réponse à Voltaire dont la diffusion
débute en mai 1754. Il poursuit son travail sur
la correspondance de la marquise, grâce aux
dames de Saint-Cyr qui l'alimentent de nombreuses
copies épistolaires de l'illustre dame de
Maintenon.
-
- La
Beaumelle à Amsterdam
- Persuadé que
l'édition sera interdite en France, La
Beaumelle abandonne Paris le 12 mars 1755 pour la
Hollande. Il demeurera une courte année
à Amsterdam. Il fait publier " l'Eloge de
Montesquieu ", puis sort une édition
clandestine de " La Pucelle " de Voltaire. Toujours
soucieux de défendre les Protestants et leur
droit à un mariage civil, il cosigne avec
d'autres auteurs liés au pasteur
Frédéric Charles Baer un "
Mémoire théologique et politique ".
- Se consacrant à
trouver les fonds pour publier les six volumes des
Mémoires et les neuf volumes de Lettres de
Madame de Maintenon, un conflit judiciaire
éclate avec les libraires éditeurs,
Jolly et Gosse. Pour répondre à
l'intérêt porté à ces
textes, La Beaumelle fait imprimer dès
l'automne une nouvelle édition
retravaillée.
- Avant de quitter Amsterdam,
le 20 février 1756, l'auteur organise la
diffusion de son " Maintenon ". A peine de retour
à Paris, il remet les ouvrages à ses
souscripteurs et gagne une jolie fortune.
-
- Second
séjour à la
Bastille
- Le 6 août 1756, La
Beaumelle connaît à nouveau le
désagrément d'être
embastillé ! La cour de Vienne et
l'Impératrice Marie-Thérèse
seraient mal traitées dans ses ouvrages.
Voltaire a encore usé de son entregent
auprès de Louis XV et de certains ministres
pour discréditer La Beaumelle et le faire
enfermer. Il ne sera libéré que le 1er
septembre 1757.
-
- Exil
en Languedoc
- Sortant de l'illustre
forteresse, il part pour Valleraugue où il a
tout juste le temps de revoir son père qui
décède le 18 septembre 1757.
- Les années suivantes,
Angliviel de La Beaumelle se partagera entre
Valleraugue, Montpellier, Nîmes et Uzès.
Pour la première fois, il songe à
épouser une femme à la dot confortable
qui lui permettrait de s'établir sans crainte
pour sa survie, et d'appartenir à la bonne
société.
-
- Toulouse
et l'affaire Calas
- En juillet 1759, La Beaumelle
s'installe à Toulouse. Enfin, en octobre 1761,
il rencontre Rose-Victoire Lavaysse, dont le
père était un avocat protestant
réputé. Eclate alors l'affaire Calas !
Le soir du drame, Gaubert Lavaysse, le jeune
frère de la future femme de La Beaumelle,
était invité chez les Calas. On
l'emprisonne, on l'inculpe. La Beaumelle
épaulera son futur beau-père David
Lavaysse pour défendre son fils, jusqu'à
ce qu'il soit lavé de tout soupçon par
les Capitouls de Toulouse. Dans le même temps,
reprenant la défense de ses coreligionnaires,
en qualité de " nègre ", La Beaumelle
écrira pour le compte du pasteur Paul Rabaut,
véritable porte-parole des Protestants du
désert, " La Calomnie confondue " attaquant le
clergé toulousain, déchaîné
par la triste affaire Calas.
- En 1763, il élabore
une " Requête des protestants français au
roi " revendiquant la " tolérance civile ".
Toutefois, le synode des Églises
réformées de France réuni en 1763
n'ayant pas approuvé ce texte, il restera
inédit jusqu'en… 2012.
-
-
- La
Beaumelle à Toulouse
- La Beaumelle épouse
Rose-Victoire Lavaysse à Toulouse le 23 mars
1764. Le couple partage la majorité de son
temps entre Mazères près de Foix,
où Madame de La Beaumelle possède un
domaine, et Toulouse. De son côté, La
Beaumelle achète la seigneurie du Carla, la
terre natale de Pierre Bayle. La petite Aglaé
naît le 6 septembre 1768 et le seigneur de Carla
devient presque un aristocrate.
- Attaqué une nouvelle
fois par Voltaire, La Beaumelle décide
d'établir une édition critique des
œuvres du philosophe, mais il n'aura pas la force
ni le temps de réaliser ce projet
titanesque.
-
- Ultime
retour à Paris
- Revenu en grâce en mars
1769 par l'entremise d'aristocrates toulousains, amis
de la Du Barry, La Beaumelle reprend le chemin de
Paris où il demeurera près de deux
années. Dans cette période faste et
apaisée, il s'occupe à créer et
enrichir la bibliothèque de Mademoiselle Du
Barry, la belle-sœur de la nouvelle favorite de
Louis XV. Enfin, il deviendra durant cinq courts mois
l'homme de lettres officiellement attaché
à la bibliothèque du monarque à
Versailles.
- De retour en Languedoc, il
vit à Mazères et Toulouse, mais sa
santé périclite. Son fils
Victor-Moïse naît le 21 septembre
1772.
- Une ultime fois,
l'écrivain reprend un carrosse sur de mauvais
chemins pour gagner Paris en mars 1773 et s'installe,
épuisé, chez son fidèle ami, La
Condamine.
- Malade, les forces lui
manquent pour poursuivre son œuvre. Il meurt le
17 novembre 1773 et on l'enterre avec
discrétion au cimetière du
Port-au-Plâtre dans le quartier de l'Arsenal
où étaient inhumés les
protestants parisiens jusqu'à sa fermeture
définitive sous la gouvernance de la Convention
Nationale.
Notes
biographiques présentées
par Alain
Bellet
-
|