ARTISTES EN RÉSIDENCE
 
un projet culturel proposé et financé par :
VILLE D'HÉROUVILLE ST-CLAIR (CALVADOS) - AGGLOMÉRATION CAEN LA MER - BIBLIOTHÈQUE D'HÉROUVILLE
ABBAYE D'ARDENNE (INSTITUT POUR LA LA MÉMOIRE DE L'ÉDITION CONTEMPORAINE)
 

 
 
 
 

 

Mémoires d'Hérouville St-Clair

Mémoires des Quartiers Juste un état des lieux
 
Faire surgir et questionner sa mémoire, c'est d'abord laisser jaillir mille souvenirs en vrac où sa propre vie revient en accéléré, sans classement, sans choix, sans hiérarchie.
Composer les bribes d'une mémoire collective de la ville et de ses quartiers, c'est prendre en compte tous les chemins de vie de celles et de ceux qui sont arrivés à Hérouville Saint-Clair, rêvant d'améliorer leur existence quotidienne, et déjà fiers de rejoindre une ville en chantier où tout était à inventer. Une étonnante mosaïque humaine naissait des plans d'urbanisme, des décisions politiques et administratives, et d'un nécessaire faire ensemble qui, dès le départ, animait nombre d'habitants.
 
Dans les évocations orales, au gré des rencontres déjà réalisées, dans les mots jetés sur le papier dans l'urgence de dire et de se dire, quatre décennies de vies mêlées s'imposent, des morceaux de vies se confondent nécessairement avec l'histoire même de cette grande cité surgie en plein champs. De l'urgence de disposer de logements sociaux au plus vite dans une période de pénurie et de forte natalité, une ville s'est peu à peu affirmée ici, posant un rapport original et négocié à l'espace à vivre, aux rencontres humaines, aux liens à tisser dans le partage et le développement le plus égalitaire et harmonieux possible.
 
Mémoires, mémoires, dit-on. C'est fouiller le moindre recoin, laisser venir un souvenir, une image enfouie dans sa tête. Cette quête n'est pas achevée et à l'automne de nouveaux Ateliers Mémoires attendront celles et ceux qui voudront venir s'exprimer, se rappeler, se confier
 

Alain Bellet, écrivain

 

 

 

Personnes déjà impliquées
dans le travail de mémoire
conduit par l'auteur-photographe
Patricia Baud
et l'écrivain Alain Bellet

 

 
Marie-Thérèse Verly, Jeanne Pouzioux, Raymonde Taudon, Yvette Fontaine, Solonge Richard, Jacques Chamayou, Eugène Dagorn, à la Résidence de personnes âgées d'Hérouville.
Gérard Thoumine, Stéphane Gorges, Isabelle Guibert, Maud Noël, Christian Marie, Jean Pierre Nopre, Jacques Monnerie, Roger Leterrier, Hélène Bougault, Janine Richard, Jean-Pierre Richard, Anne-Lise Bottet, Thierry Deslandes, Nelly Leroy, Lili Harel, Dominique Peryoitte, Guadelupe Geslin, Béatrice Bissay, Liliane Duvieu, Christian Leroux-Dennebouy, Isabelle Roger,Florence Le François, Brigitte Lecolley, Laurence Samville, Marie-Chantal Bréard, dans les ateliers Images et mots et les rencontres adultes.
Les lycéens du Collège-lycée expérimental : Dany Lehongre, Aurélien Soucheyre, Anaïs Chemin, Mélodie Baron, Léa Marie, Lucie Grana et leur professeur de lettres, Thierry Deslandes,
Les élèves de sixième du Collège Pierre Varignon : Charlène, Félicia, Pricilia, Naomi, Tommy, Christelle Baptiste, Demet, Philimène, Christelle,et leurs camarades de la classe de Mme Chureau, professeur de lettres.
 
L'ombre du matin du soir, en semaine
 
Le temps humide, brouillard du matin, verglas de l'hiver. Cinq heures, départ pour l'usine.
Quelques voitures doublent un cycliste, tunique jaune, clignotant au bras, tranquille, aucun bruit strident, comme dans la journée.
Calme apparent, les lumières s'allument petit à petit aux fenêtres, Hérouville se réveille
Tout d'un coup, l'Šil du cyclo sort d'un sommeil latent. Une mère de famille, dans le froid de l'hiver, un jeune enfant dans les bras, un grand sac à la main, sans bruit, calmement devant sa fille aînée en chemise de nuit, une veste chaude sur le dos, un ours dans les bras, en chaussons, elles marchent d'un pas lent allant vers la nourrice.
Un appartement aussi chaud que le sien l'attend.
Cette mère part, pour la survie de la famille, vers l'usine où la brutalité de la production, les insultes des petits chefs, l'attendentŠ Son quotidien.
Elle pense pourtant à sa fille, sûrement à l'école, sa petite qu'elle n'a pas habillée, moments intimes des parents et des enfants.
 
L'ombre de la journée comme le reflet du soleil sur un mur, le reflet d'un objet
Elle rêve, avec ardeur, voire de la haine sur le moment, ses enfants auront peut-être un avenir meilleur
Départ, retour de l'usine, encore des ombres dans le jour, peu de contacts avec les voisins. Il lui faut maintenant faire son devoir de mère, repas, lessives, ménage, leçons de la fille, là, l'ombre est vivante.
Le sommeil profond arrive vite, avant le lever rapide d'une nouvelle journée

 

 

 

 

Christian Marie

L'arbre et les mots
 
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux ombres ont tout à l'heure passé
Pourquoi Verlaine te vient-il à l'esprit
Face à une image sur papier glacé lui aussi.
Cet arbre est de papier et sur papier, on écrit.
Quel symbole pourrais-tu lire, source du présent ou image du passé ?
Vie intangible du bois, mais signe du temps
Le lampadaire, lui est de fer.
Noir est le mur, blanc sur lui on écrit.
A qui peux-tu songer, où est la vérité ?
Lirais-tu au mur une mémoire écartelée,
Celle cruelle des déportés, des exilés, des condamnés, des mutilés.
Non, ces traits blancs ne sont que mots
Regarde, ils ne sont pas figés
Ecoute-les, ils sont vivants
Entends, ils veulent s'envoler
C'est vrai alors que l'arbre serait vie
Et que les mots, il les nourrit
 

Jacques Monnerie

Fenêtres sur vies
C'est la vie à l'abri des regards d'autrui ; elle éclose, bouscule, tarabuste, mais toujours se cache derrière des milliers de fenêtres affichant comme une invitation rituelle.
- Je suis là, venez-vous ?
Toutes sont des guetteurs de verre, soulignant au passage la fragilité de la vie humaine. Espace d'une vie, espace d'une vitre, attention à la casse.
Hérouville aligne ses fenêtres ouvertes sur le monde comme autant d'invitation au rêve éveillé. De toutes sortes, elles témoignent volontiers d'une ouverture, d'une fermeture, d'un replis, d'une extériorité. C'est à chacun sa vitre, rideaux opaques, rideaux fermés, rideaux à demi tirés, fleurs exposés, images peintes.
 
Au grand jeu des observances de verres, l'inventaire reste à boucler tant les fenêtres racontent le point de vue des habitants. Ici, c'est la rigueur Ajax d'une vitre brillante, là-bas, c'est les traces de doigts laissés par un enfant distrait, là encore, la magie des miroirs ouverts sur une assemblée d'arbres choisit d'installer la nature à domicile pour un jeu mystérieux de reflets. Si les vitres savaient parler, elles raconteraient sans doute tout ce qui s'est joué entre le dedans et le dehors, le senti et l'exprimé.
 
Fenêtres alignées, fenêtres disparates, dites-nous les mille secrets des Hérouvillais.
Elles se souviennent du premier né, des premiers pas, des premières fâcheries.
Elles pourraient écrire en langue de diamant ce qui s'est brisé.
Ce sont les noces du fragile et de la clairvoyance, les épousailles du montré et du dissimulé.
Fenêtres sur cour, fenêtres sur rue, fenêtres sur arbres.
Dans le quartier du Bois, elles clignotent des yeux, s'amusent d'un rayon de soleil, d'un nuage passant.
Dis-moi ta fenêtre, je te dirai ton regard. Comment ne pas voir des milliers de visages à bonne distance des vitres tendues comme autant de sauvegarde à disposition de chacun et chacune.

 

 

 

 

Alain Bell

Promenade, errance
 
Au hasard des sentes de ma ville de quartiers
Façade ocre, fenêtre meurtrière
Sous le bleu acier d'un ciel printanier
Silhouette croisée, envoilée,
Ombre d'elle-même
Silhouette estompée, derrière un moucharabieh
Ombre fugitive d'une belle captive
Ai-je rêvé ?
Une citée oubliée, perdue au bord des sables
Une ruelle ombragée d'un rivage lointain
Promenade errance au hasard des sentes de ma ville, en Normandie
 

Lily Harel

Souvenirs de girafe
 
Matin d'été, matin de vacances, le soleil est au rendez-vous pour nous dire bonjour. J'ouvre la fenêtre en grand, je m'accoude, et regarde le paysage devant moi. Ce matin, j'ai envie de flâner, de continuer mes songes nocturnes.
 
La place, l'espace entre les immeubles est vide, silencieuse, il est encore trop tôt. Enfants et adultes n'ont pas encore pris possession des lieux. Ils se sont sûrement couchés tard, hier soir, à discuter et profiter jusqu'au bout d'une agréable soirée.
 
La girafe est là, plantée au milieu de l'espace. Cela donne une drôle d'impression, elle est seule, paraît toute triste sans la ribambelle d'enfants autour d'elle pour escalader son dos, glisser sur son long cou et atterrir entre ses oreilles ! Tout cela au lieu des cris, des riresŠ Elle est bien triste sans les jeux d'enfants, leurs vélos, leurs trottinettes, rollers, bousculades sur les marches de la mosaïque. Leurs parents assis en bas discutent et surveillent d'un Šil leurs enfants. Les petits dans leurs poussettes voudraient bien rejoindre les grands, les bébés bercés par leur maman ou leur grande sŠur gazouillent de plaisir sous le soleil d'été
 
On rentre chez soi après le travail, après les courses, on sort pour aller se balader, pour les courses ou simplement pour sortir, on passe devant la girafe, on se croise, on échange quelques mots et on repart vers ses activités. Certaines femmes restent plus longtemps, volontairement, pour continuer leur conversation avec les voisins ou les copines. D'autres, moins volontairement accordent un ou deux tours de girafe aux enfants, pas plus, il faut rentrer.
 
Hier soir, cette place était pleine d'enfants, d'adultes, pleine de vie. J'allais oublier de vous dire que la girafe est un superbe toboggan qui fait le bonheur des enfants. La girafe, certains, les enfants, les deux plus jeunes, leurs copains et leurs copines, l'ont toujours connue et pourtant il y a eu un avant la girafe, le terrain n'était pas aussi plat, il y avait une sorte de tunnel, cela ressemblait plutôt à un petit monticule. Et me voilà repartie dans mes rêveries, hiver 1986, mon fils aîné veut sortir, il a neigé, Maman, il y a beaucoup de neige.
 
Effectivement, l'espace est recouvert de neige, il est tout blanc, cela est suffisamment rare, je le laisse sortir pour profiter de ces moments de joies et de jeux.
 
Malgré le froid, j'ouvre en grand la fenêtre, m'accoude, les enfants ont trouvé des cartons et font de grandes glissades, cris et rires d'enfants emplissent tout l'espace. L'espace blanc de neige se couvre progressivement de cartons et de joyeux glisseurs. A leur fenêtre, les parents regardent émus leurs enfants découvrir la neige. Les allées se couvrent de pas, un instant suspendu devant ce spectacle de bonheur. On voudrait suspendre le temps, été, hiver, girafe, tunnel, à cet instant, on se dit : elle est belle la vie.
 

 

 

 

 

Dominique Peryoitte

 
 
J'ai appris la citoyenneté dans mon quartier
 
Nous sommes arrivés en décembre 1978 avec nos deux enfants et le troisième qui n'allait pas tarder à naître. Nous ne sommes pas très rassurés, il est dit partout qu'Hérouville est une ville dortoir. Nous essayons de nous repérer dans le quartier, les commerces, et surtout l'école, c'est très important.
 
Petit à petit, nous prenons nos marques. Nous habitons dans une grande tour de dix étages. En face, de l'autre côté du canal, une très grande usine traite le minerai des mines alentour (May sur Orne, Soumont St Quentin).
Le soir, par la fenêtre, nous regardons les fours et les coulées. C'est très beau, c'est couleur de feu : Dans le bruit des machines, tous ces hommes travaillent dur. Nous sentons la vie s'agiter et c'est bien !
Je me rappelle des lever de soleil magnifiques sur le quartier du Grand Parc. La vie se déroule doucement, le troisième enfant est enfin arrivé avec douze jours de retard et c'est comme cela que je fais connaissance avec mes voisines qui sont très intriguées de me voir partir tous les matins avec ma valise et rentrer tous les midis avec. Les deux grands vont à l'école Malfilâtre. Cette école va devenir très importante, je vais y rencontrer ma meilleure amie !
 
Une amitié de vingt-cinq ans. Nous avons protesté ensemble
 
A l'époque, les enfants faisaient la sieste sur les bancs ou par terre sur les tapis. Nous avons réussi à obtenir des lits pour ces moments de repos. Puis, avec une institutrice, nous partions toute une semaine avec la classe dans un domaine qui appartenait à Hérouville. Il s'appelait Les Petits Carreaux sur la commune du Maay-Lettry.
Pendant une semaine, les enfants découvraient la nature, voyaient des animaux en vrai !
L'année 1984 fut une année très importante dans ma vie. Beaucoup de choses allaient changer. La Municipalité commençait à parler de la réhabilitation des quartiers Belles Portes et Grand Parc. Une personne chargée de mission auprès des habitants est arrivée pour travailler sur le Grand Parc. Elle s'appelait Annie Berger. Je suis sûre aujourd'hui qu'elle a changé le cours de notre vie à quelques unes qui habitions sur ce quartier. Nous étions mères au foyer, sans travail à l'extérieur et surtout sans diplôme. Petit à petit, Annie nous a amenées à discuter des problèmes de logement, du quartier, de l'école, de la santé, de ce que l'on aimerait améliorer ou changer dans notre vie.
 
Je me souviens de toutes ces rencontres avec des institutions, la mairie, les HLM, la PMI, les enseignants, les médecins et bien d'autres encore sans oublier les habitants.
 
Au début, on écoutait, on n'osait pas trop prendre la parole, et puis, avec le temps, nous l'avons prise, nous étions écoutées et c'est sûrement comme  ça que nous avons pris conscience de notre citoyenneté dans notre quartier

Hélène Bougault

 
 
J'aimerais bien qu'on se rappelle
 
 
J'aimerais bien que l'on se rappelle du collège Pierre Varignon qui a été reconstruit
Avant, il était petit, alors que maintenant, il est très grand. C'est le seul collège du quartier Savary, mais pas le seul d'Hérouville !
Il contient de nombreuses salle, une cantine spacieuse, une salle de s professeurs, un terrain de football, un terrain de basket, une salle de tennis de table à l'extérieur, un grand CDI, un très grand hall où sont alignés des casiers pour les élèves, une salle de permanence. Des surveillants s'occupent des élèves. La Principale, Madame Lefort, dirige tout le collège.
Certains professeurs travaillent là depuis longtemps comme Madame Leboucher, d'autres depuis deux ou trois ans comme Madame Chureau. Les cuisiniers de la cantines préparent des repas très équilibrés.
 
Ce que j'aime particulièrement, ce sont les sonneries du collège ! Ce sont des musiques que les élèves apportent. Après, ils les confient à Madame Binet, seule professeur de musique du collège.
 
Lundi, c'est Aida de Verdi, mardi, une chanson de Charles Trenet, Mercredi, Carlos Santana, Jeudi, les Beatles, et le vendredi la danse hongroise de Brahms !
 
Ici, chaque semaine est une promenade en musique !

 

 

 

 

 

Charlène

 

 

 

Texte d'une élève de la classe de sixième de Madame Chureau où une vingtaine d'élèves

 

 

 

ont travaillé la mémoire et l'histoire d'Hérouville, dans le cadre des ateliers Images et mots de Mémoires de Ville..

 

 

 

 

 
 
 
Les racines
 
 
Enfance sans racine,
 
J'ai poussé au gré du vent et d'endroits sans attaches jusqu'à ce jour de décembre 1978 où j'ai posé enfin valises, enfants et mari
Dans cette grande tour où j'ai senti et voulu planter des racines. La tour blanche est là comme un arbre, dans son creux la vie qui bouge, qui crie, qui chante. Les racines rendent stables et permettent de continuer la vie
Mes petits enfants sont nés là, cette tour est comme un arbre qui donne des fruits.
 

 

Hélène-Bougault

 

 

L'oeuf
 
La naissance d'une ville, l'éclosion, mais pourquoi y avoir dessiné des flammes ?
La ville ne flambe pas, on n'y ressent pas de foyer d'explosion sociale, malgré les dossiers RMI et les familles au chômage.
La démarche impose néanmoins une grande vigilance. Il n'est pas facile de combattre l'exclusion, le gâchis urbain, les égoïsmes locaux, les cloisonnements de tous genres, l'inertie administrative. Il est nécessaire que le partenariat se situe autour d'un projet commun fédérateur pour recevoir l'adhésion de tous.
Même s'il reste beaucoup à faire pour que la communication directe s'instaure vraiment. Les pouvoirs de décisions et les compétences sont de plus en plus éloignés de ce que vivent les habitants ! C'est vrai qu'il y a besoin d'un coup de peinture mais faudrait pas en rester à la façade, sinon on ne règle rien. La solidarité, ça commence par le dialogue, et si les habitants ne participent pas, tout devient du pipeau !
Cinquante deux mètres carrés d'espaces verts publics par habitant à Hérouville Saint-Clair, l'oiseau y a encore de la place pour faire son nid, y pondre un Šuf. Toute ma vie j'ai lutté, combattu, adopté un idéal pour que l'Šuf puisse éclore dans une société libre et démocratique où tout le monde vivrait ensemble dans la paix et avec des chances égales, sans se brûler les ailes.

Texte de l'oiseau rare, Jean-Pierre Richard

 
Pourquoi s'installer
à Hérouville ?
 
Les souvenirs personnels les plus significatifs me semblent se rattacher à la période de l'implantation de la ville nouvelle. Pourquoi s'installer à Hérouville? Parce que logés à l'étroit notre famille était à la recherche d'un appartement plus grand et si possible financièrement, en accession à la propriété. Et parce que la presse locale faisait un grand écho au projet de construction d'une ville nouvelle aux portes de Caen, ville dont on vantait les multiples avantages : construction sur un plan d'ensemble, tous les travaux devant être conduits harmonieusement, quartier par quartier. Un sous-préfet Robert de Caumont était détaché par l'état pour conduire cette opération pilote. L'homme ne manquait pas de charisme, ni de projets, il mettait en avant son souci de travailler dans l'esprit de G.A.M. (groupes d'action municipale) dont la tête chercheuse était alors Hubert Dudebout maire de Grenoble prônant une association des habitants à la gestion de la cité. Tout cet ensemble paraissait extrêmement séduisant.
On affirmait même qu'on pourrait obtenir une ligne de téléphone personnelle dès qu'on serait installé. On peut sourire mais à l'époque c'était un véritable progrès. Nous sommes laissé séduire et qu'après avoir versé quelques acomptes et pris des engagements financiers nous avons retenu un appartement sur plan dans un futur quartier au joli nom de " Belles Portes ",quelle belle entrée en matière. Une fois résolues les conditions d'achat, il a fallu patienter et nos sorties dominicales nous ont entraînés d'abord à arpenter le terrain sur lequel devait être bâti " notre" immeuble, puis au fil des mois à constater avec optimisme ou inquiétude l'avancement ou le retard des travaux. Enfin au printemps 1966 on nous remet les clefs. Nous sommes au quatrième étage, sans ascenseur, peu importe, la vue est dégagée sur l'horizon, c'est à dire sur la S.M.N. qui fume à un kilomètre de là et dont nous entendrons, la nuit, la sirène ou le grondement des coulées.
Sur l'arrière nous dominons les champs, ces champs qui vont se transformer en "Grand Parc ", deuxième quartier d'Hérouville. Nos week-end sont fort occupés: nous peignons, nous tapissons et le premier juin, arrive le jour de gloire, nous aménageons ! Bien sûr, il faut se débrouiller avec la boue du chantier voisin, bien sûr le centre commercial prévu sur les plans n'est pas encore en fonction, bien sûr l'école n'est pas encore ouverte, bien sûr le parking n'est pas encore achevé, mais qu'importe, nous sommes chez nous à Hérouville et nous avons l'impression qui se vérifiera de nous installer dans l'existence.
 
Nous étions encore jeunes. Comment aurions pu deviner que nous engagions la plus longue partie de notre vie, quarante ans ont passé, sur l'impulsion - séduction de la cité future et sur le fait que les prix de l'immobilier y étaient attractifs ? Evidemment, notre vie familiale, notre vie professionnelle n'ont pas dépendu uniquement de notre habitat, mais un attachement quasi viscéral nous lie à la Cité et à son parcours, certes bref au regard de l'histoire, mais tellement riche de souvenirs et d'expériences humaines pour ceux qui comme nous ont vécu ses débute et ses évolutions. Hérouville n'est certes pas un paradis, mais qui connaît nos chemins piétonniers, qui mesure le nombre d'arbres qui peuplent ces champs autrefois nus, qui connaît le poids des associations et des liens qu'elles créent ? Au fond, c'est parce que nous nous sentons chez nous que nous refusons cette espèce d'ostracisme de ceux qui méprisent à priori notre ville et l'image qu'ils s'en font.

Jacques Monnerie (extrait de texte)

La MJC de ma vie

 
La Maison des Jeunes et de la Culture. d'Hérouville représente pour moi toute une part de mon histoire d'Hérouvillaise Arrivée aux Belles Portes en 1968, je n'ai jamais voulu quitter Hérouville. La MJC est associée à mes années d'adolescence et de jeune adulte. En premier lieu, ce fut le lieu pour moi de découverte de la danse modern-jazz. A 14 ans, j'obtins l'autorisation de mes parents, en plus de la danse classique que je pratiquais à Caen, dans un cours privé, de rejoindre le cours de danse modern-jazz pour ados qui ouvrait à la MJC d'Hérouville. Quelle émancipation ! Quelle liberté ! Danser les pieds nus, libérés des chaussons de danse que pointes et semelles étroites martyrisaient, avoir des tenues chatoyantes et diversifiées. Ne plus être prisonnière de conventions rigides, pouvoir s'exprimer beaucoup plus librement, sans crainte de ne pas faire aussi bien que les autres, sans le verdict des miroirs dont à l'époque, la salle n'était pas pourvue ! Et surtout : n'être qu'avec des adolescents et danser sur de la musique de jeunes.
 
J'ai ensuite continué la danse moderne pendant des années, assistant aux débuts d'Isabelle Durand, professeur bien plus jeune que moi, fille de Geneviève, la prof de yoga. J'ai gravi les échelons des cours jusqu'à faire partie du cours " Adultes avancés ". Quand la glace m'a renvoyé une image trop " avancée ", quand je me suis trouvée décidément décalée au milieu de jeunes de 20-25 ans, j'ai arrêté.
 
Pendant les années de mon adolescence, la MJC, à 200 mètres de chez moi, était le lieu de rendez-vous avec les jeunes du quartier. Pas toujours, j'avais plus ou moins le droit d'y aller, car y traînait alors une bande pas très fréquentable, sur laquelle régnait " Bras de cire ", délinquant notoire, au demeurant assez sympathique. J'ai parfois assisté à des bagarres aux abords de la MJC, à coup de chaînes de vélo. La banlieue, c'était déjà ça en 1972, mais parfois seulement ! Il y avait régulièrement des manifestations plutôt sympathiques, animées par Daniel Jacquier, longtemps directeur, charismatique, jouant les papa pour beaucoup,: je pense en particulier aux concours de radio-crochet des Feux de la St Jean qui, à l'époque, avaient lieu dans le "théâtre de verdure ", constitué de gradins de pelouse entourant la demie cour formée par l'angle droit des bâtiments.
 
J'ai fréquenté le club guitare dès ses débuts, en 1975. Animé par Alain Crévenat, éducateur Salésien au foyer du père Robert, cette activité mettait en pratique les valeurs de l'éducation populaire. Adhésion symbolique, pas de frais d'inscription, au sein de petits groupes disséminés dans différentes salles, les plus doués apprenaient aux novices accords et rythmes de base de la guitare d'accompagnement, et nous chantions ensemble le répertoire incontournable de la chanson française. Cette activité offrait une réelle mixité sociale et rassemblait une trentaine de jeunes de tous âges, tous milieu, lycéens, étudiants ou jeunes travailleurs, de tous les quartiers d'Hérouville, voire de l'agglomération, de toutes tendances idéologiques, des séminaristes aux militants d'extrême gauche, en passant par une forte proportion de jeunes sans opinion et une majorité de jeunes au look hippie, de toute culture musicale. La plupart n'ayant aucune formation musicale, nous fonctionnions " à l'oreille". C'est là que j'ai rencontré Marco, qui avait une formation classique; nous faisions tous deux partie du noyau d'animateurs du club; "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants". Trente ans plus tard, nous sommes toujours amoureux ! Autant dire que ce lieu ayant permis notre rencontre nous tient particulièrement à cŠur, encore aujourd'hui ! Quelques années plus tard, en 1980, je retournai à la MJC pour y découvrir, avec Geneviève, le yoga pour femmes enceintes. En 1985, ma fille Solène, à son tour y faisait de l'éveil à la danse, avec Isabelle, et un peu plus tard encore, Benoît, mon fils, essayera le yoga pour enfants. Leurs expériences s'arrêteront là. Ensuite,tournant la page de mon adolescence, la MJC ne fera plus guère partie de mon paysage, supplantée par l'association de quartier du bois, lieu majeur de mes investissements associatifs de jeune mère au foyer toujours Hérouvillaise, en compagnie de mes copines du yoga prénatal.. Mais c'est une autre histoire.

Brigitte Lecolley, extrait de texte