- Ecrire, disait
Marguerite Duras
- L'écriture
est un jeu complexe de navettes entre les autres et
soi-même, entre le monde tel qu'il se montre
à voir et une intériorité
toujours mutante, éternellement en
devenir.
- Personne
n'apprend vraiment à écrire, on s'y
jette un jour, comme un banal besoin d'air pur, un
geste de sauvegarde, un espace à gagner sur le
rationnel, un lieu de retrouvailles avec sa propre
histoire, avec sa part d'humanité.
- Allez, une
confidence pour commencer : l'école ne m'a
donné envie de lire, pas davantage
d'écrire d'ailleurs. Ce n'était pas pour
moi, ces choses-là. La littérature me
semblait poussiéreuse, décalée du
réel. Ma mère écrivait " La
déchirure " (texte jamais publié) et mon
père agitait le bâton de l'histoire
populaire pour se sentir davantage
exister.
- Comment
revenir sur le pourquoi, sur les fondements, les
raisons essentielles d'une mise en plume ? Aucune
évidence préétablie, pas
même un soupçon de vocation... Juste
quelques notes poétiques que l'on sort de soi
pour conjurer le doute. Les blessures de vie et les
fritures de l'âme sont toujours de réels
moteurs d'écriture, des moteurs à
vocations artistiques, quelle que soit la discipline
choisie, celle que l'on ose finalement approcher. Il y
a eu d'abord le théâtre et la langue
orale, puis le poème, la prose et la langue qui
s'inscrit volontairement dans la durée.
Aujourd'hui, j'aime lire mes textes à voix
haute, un compromis sans doute, un besoin de
cohérence, certainement.
- Le deuil
d'espérance et le vague à l'âme
suivant les attentats de novembre dernier valent tous
les sésames. L'écrit sent la poudre
à fusil, la colère majeure, les peines
domestiquées,
dépassées.
- Il est
toujours temps d'écrire, de jeter des mots, des
pensées, qui ressemblent à tous ceux que
l'idée même de révolte effleure
depuis longtemps, que la volonté d'agir sur
l'ordre des choses mobilise, que les cris, las
d'être murmurés, transcendent enfin les
ordinaires. Mais parfois loin des conflits,
écrire, c'est d'abord retrouver des sentis,
évoquer des passions, engranger des
défis, juste pointer d'un bout de doigt
distrait le sens des choses afin de
démêler le juste des injustices à
foison, retrouver l'obédience à laquelle
se confier, histoire d'adopter une filiation, un
chemin d'espérance.
- Les mots se
conglomèrent pour jaillir à l'improviste
à l'heure arrêtée, depuis
longtemps sonnée à la cloche des
exigences que l'on se fixe, que l'on se donne, comme
ultime sursaut de vie.
- Écrire,
c'est aussi bouger sans cesse. Peau,
sensibilité, perception, regards sur le monde.
Tout se transforme à souhait et le territoire
de sa propre personne devient une véritable
friche, la jachère de l'écrit en
continuelle quête. Il convient de bien nommer
les choses pour les approcher. Se trouver dans la
justesse d'une cohérence, entre le dire et
l'affiché, le décidé et
l'infrastructa ? Nure. Des mots tout çon.
C'est-à-dire des gens, des lieux, des
éclats de rire, des regards ou des grimaces, un
haussement d'épaules
désespéré à
l'écoute des maux du monde. Non, juste une
histoire humaine que certains d'entre nous pressentent
plus que d'autres. L'écriture vient quand elle
veut, sans prévenir, comme l'urgence d'une
respiration haletante, un doigt qui se lève
pour accuser des regards anéantis frôlant
le bitume, la rue, le ballast, la grisaille. Oui, elle
est un doigt qui veut montrer l'impossible route, le
doigt de dieu, comme si le pauvre bougre n'avait pas
disparu depuis longtemps, dans les soubresauts en
série d'une très vieille histoire
dépassée.
- Le monde va,
c'est-à-dire vous et quelques autres, vous et
d'autres encore, femmes ou hommes, et des
régiments d'inconnus qui piétinent le
malheur d'autrui comme pour suivre un rite ancien,
à jamais défait. Comme d'habitude. Au
fond, écrire, c'est toujours viser l'autre,
c'est l'école de l'autre qui donne à
notre langue la patine du temps et le besoin de
s'offrir.
- L'autre
soi-même, dissimulé dans sa carapace, qui
prend le temps de poser un regard oblique, l'autre,
croisé au hasard d'un chemin de traverse, et
qui devient personnage, l'autre, sans mystification,
devenant lecteur, le temps d'une rêverie.
L'autre, c'est notre bonheur et notre condamnation,
l'Enfer, disait le philosophe du Néant. Les
autres m'ont toujours intéressé,
questionné, attiré. Proches ou anonymes,
ils s'imposent toujours dans mes plates-bandes. Bien
sûr, des cohérences se sont construites
au fil des ans. Les mots ont besoin de jaillir,
au-delà des cadres, des étiquettes et
des gondoles de vente. Sans doute, est-ce la
quête d'une humble mémoire à
travers l'histoire d'hier et celle qu'écrit
notre époque qui me sert de boussole. Des
histoires s'inventent, se reforment, se recomposent,
sous la plume, le clavier. Les humains sont toujours
de service et parfois le roman me semble constituer un
détour. J'aime aussi le documentaire, les
paroles d'autrui recomposées, un réel
d'aujourd'hui ou d'autrefois, à peine mis en
scène. L'essentiel reste le dire, le sentir, le
hurler. Le convaincre aussi et là, l'autre
pointe à nouveau sa fragile silhouette. Et puis
les mots, ce ne sont pas que des livres écrits,
publiés, et tous ceux qui restent à
écrire. Il y a l'oralité et les discours
à l'emporte-pièce. Les salles combles et
les coins de cheminées plus intimes. Il y a
encore les feuilles froissées, les
poèmes griffonnés, les réactions
spontanées à des images
découvertes, les lettres, les messages, les
pages d'un site Internet domestiqué. C'est
aussi des carnets de voyage encore secrets, des notes
d'Egypte, des mots jetés à vif sur le
sable trop jaune et les pierres vertes du Sahara. Nous
savons bien que les souvenirs jaunis ont besoin
d'encre et de mots pour exister à
jamais.
Alain
Bellet, écrivain
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-
- Parole,
tu rêves, toi !
-
- Juste un
siècle pour traverser le boulevard de
l'Egalité ! Juste un siècle pour
acquérir l'écoute et la reconnaissance,
prendre le temps d'affiner les gueulantes de principe
et comme les hommes avoir le droit aux terrasses
mortifères
- Les
suffragettes osaient le pire mais les oreilles
étaient bouchées, les infirmières
débarrassaient les tranchées, peu ont
été décorées. Russes,
Allemandes et Anglaises allèrent voter en 1919,
la Française eut le temps de
réfléchir, pendant vingt-six ans,
à qui donner son suffrage
- En 1890, une
femme obtenait un doctorat de lettres, en 1900 la
première femme avocate se fit tailler une robe
sur mesure. En 1936 une autre avocate que tout le
monde appelait Madame Quand-Même refusa
d'être ministre du Front Populaire tant qu'elle
était privée du droit de vote ! Et puis
un jour, Madame Curie squatta quelque peu le Temple
des Grands Hommes de la République. Maintenant,
deux copines l'ont rejointe, cette année.
L'égalité se travestit de costume de
façade et la parité force le trait d'un
véritable partage. Les damnées de la
terre conjuguent souvent au féminin pluriel
leur quête identitaire. Et puis voilà les
voiles, l'égalité remisée de
près. Les femmes ont elles cessé
d'être les premières opprimées ?
Parle la première et tais-toi, parle la
dernière et sauve-toi ! Dans le train des vies
bousculées, Mesdames, on vous offre toujours la
première classe
1970, le Torchon
brûlait et les premières
féministes jetaient l'éponge. Quelles
réelles avancées ? 1974, Simone Weil se
payait l'hémicycle d'une république en
complet veston. Avancées, certes, petites,
petites, encore et encore
Pour que la fête
commence, faudrait faire taire les abrutis, pour la
fête de l'égalité où
chacune et chacun trouveraient son pas de deux, sa
cadence
- Parole, tu
rêves comme une meuf, toi !
Alain
Bellet
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