Au lever du soleil, les trois troupes arrivèrent sur l'immense plaine. Les trois armées se préparaient au nouveau combat. Il faisait chaud et la poussière volait sous les pieds des hommes et des chevaux. Les chevaliers, trempés de sueur, avaient du mal à supporter le poids de leur armure. La fatigue et les blessures les affaiblissaient. Pierre le cruel, insensible à la peine de ses hommes ordonna :
- Préparez-vous à massacrer ces maudits !
Quelques hommes soupirèrent. D'autres murmurèrent :
- Il va tous nous faire tuer. Pourvu qu'il prenne une flèche rapidement.
- Oui da. J'en ai assez de cette guerre !

 

Pendant ce temps, dans le camp adverse, l'ambiance était différente. Le Comte Paulin s'inquiétait de la santé de ses hommes. Il faisait le tour de son armée
pour les soutenir et les encourager.
De son côté, la Duchesse de Galles, fine stratège, avait réparti des hommes en embuscade un peu partout sur le champ de bataille. Elle observait les mouvements compacts de ses ennemis quand soudain Pierre de Bazeilles accompagné de deux hommes grimpa sur une colline et s'isola de sa troupe.
 
La Duchesse embusquée à faible distance reconnut le blason du Duc. Elle fit signe à ses hommes et hurla :
- Sus à l'ennemi ! Gloire aux Léopards d'Edouard III !
Une dizaine de soldats se ruèrent sur l'ennemi ! Le Cruel, surpris, fut immédiatement désarçonné et jeté à terre. Ses gardes furent tués sur le champ.
Clothilde s'apprêtait à trancher la gorge de Bazeilles quand Paulin arriva au galop en hurlant.
- Halte là ! Il faut un combat digne, devant Dieu ! Madame, les lois de la chevalerie vous interdisent de le tuer ainsi ! C'est déloyal et indigne de vous.
Clothilde se calma, rengaina son arme et se releva. Paulin reprit :
- Je vous propose de régler cela en duel. Vous épargnerez la vie de nos soldats et mettrez fin à cette guerre. Le vainqueur emportera les terres de l'autre.
Acceptez-vous ? Rassemblons-nous au centre de ce pré.
La Duchesse accepta et fit sonner la trompe. Des centaines d'hommes se regroupèrent. Un héraut anglais annonça la tenue d'un duel qui mettrait fin à la guerre.
 

En s'adressant à tous, Paulin déclara d'une voix solennelle :
- Vous, Duchesse d'Angers, acceptez-vous de combattre devant Dieu et vos hommes contre le duc Pierre II ?
- J'accepte.
- Vous, Duc Pierre II de Bazeilles, acceptez-vous de combattre devant Dieu et vos hommes contre la Duchesse d'Angers ?
- J'accepte.
- Le vainqueur prendra la main sur les terres de celui qui perdra.
Un vaste cercle se forma dans la plaine. Paulin réglait les détails de l'organisation du combat.
- Elle a la dague de mon fils, je la reconnais ! dit Jean qui était à côté de Paulin.
- Quoi ? Comment est-ce possible ?
- Je ne sais pas mais cette dague est invincible.
- Tu en es bien sûr ?
- Oui. Arthur est là, je vais le chercher ! Et il cria de toutes ses forces :
- Arthur ! Arthur, où es-tu ? Arthur !
 

Assis dans l'herbe, au milieu des soldats Anglais, Arthur s'inquiétait: "Ce duel est inégal. Il est beaucoup plus fort qu'elle. Heureusement, elle a ma dague". Les soudards des trois camps attendaient impatiemment l'issue du combat. Les commentaires s'enchaînaient. Des paris s'organisaient . Qui pour l'un, qui pour l'autre, un moyen de gagner quelques sous.
- Il va gagner c'est sûr ! hurlait un soldat de Bazeilles.
- Non, elle est plus vive, rétorquait un archer de Galles.
- Moi je parie cinq sols sur Bazeilles, ajouta un homme de Paulin.
- Que nenni ! Six sols que c'est la belle Clothilde qui va l'emporter !
 
Venant du village de Bazeilles, une petite charrette tirée par un âne s'approchait de l'immense rassemblement.
La rumeur de la tenue du duel historique avait traversé la plaine en un instant et et espérant gagner de l'argent le plus vite possible, le traître Jacqou apportait plusieurs tonneaux de bière pour rafraîchir la troupe.
- A boire ! Qui veut boire à son aise à la santé des champions ?
Les hommes se précipitèrent vers lui, un gobelet d'étain ou de bois en main.
 
Pendant que les soldats pariaient toujours pour leur héros respectif, Arthur avait entendu crier son nom à plusieurs reprises et avait reconnu la voix de son père. Tout à coup un soldat le poussa et il bouscula un homme. Celui-ci se retourna et, en levant les yeux, Arthur fut stupéfait. Cet homme était son père !
- Papa ! C'est bien toi ? demanda-t-il.
- Arthur ? Mon petit garçon ? Comme tu es grand maintenant !
Le père et le fils se serrèrent dans leurs bras et s'embrassèrent avec tendresse.
- Où est ma mère ? demanda Arthur. Elle est toujours vivante ?
- Elle n'est pas loin. Allons la chercher, mon fils.
En les voyant s'approcher, Marie se demanda qui était l'adolescent marchant à côté de son mari. Soudain, elle le reconnut. Son coeur battait plus fort et elle sentit une immense joie l'envahir.
- Comme je suis heureuse de te revoir ! Tu nous as tellement manqué !
Elle l'observa et continua :
- Tu es grand. Tu es un vrai jeune homme, maintenant. Qui t'as donné ces beaux vêtements ?
- C'est la duchesse de Galles, elle m'a recueilli.

 

Trompettes et tambours interrompirent les retrouvailles. Le duel allait commencer. Se tenant au centre du cercle des soldats, Paulin expliqua d'une voix forte :
- C'est un combat à mort selon les règles de la chevalerie. Pas d'attaque par derrière, pas d'arme supplémentaire, pas d'aide. Si Pierre de Bazeilles gagne, les troupes anglaises repartiront et les terres Angevines de la duchesse iront au roi de France. Si Clothilde d'Angers l'emporte, elle deviendra duchesse de Bazeilles et gardera la ville et les terres.Que la fête commence, mes seigneurs !
 
Les deux combattants dégainèrent leur arme : une épée courte pour Bazeilles,la dague d'Arthur pour Clothilde. Les soldats devenus spectateurs les acclamèrent.
Pierre se jeta sur la duchesse en ricanant :
- Je vous tuerai à regrets, charmante Damoiselle, sachez-le !
Elle esquiva le coup avec vivacité.
- Ne vous surestimez pas trop, Seigneur,vous risquez d'être déçu !
 
La jeune femme était connue pour sa bravoure. A la Cour de Londres, les chevaliers l'appelaient "Fine lame" ! Elle était réputée pour sa rapidité et son intrépidité.
Elle tenta de le toucher au ventre mais sa lame glissa sur la cote de maille. Pierre le Cruel attrapa le poignet de l'Anglaise et la tira violemment. Déséquilibrée, elle tomba au sol. Sa flamboyante chevelure blonde se répendit sur l'herbe verte. Ebloui, Paulin ne la quittait pas des yeux. Son coeur battait à se fendre. Pierre se précipita sur elle, l'épée en avant pour la tuer. Au moment ultime, Clothilde d'Angers roula sur le côté et évita le coup mortel. Elle sentait vibrer la dague dans sa main, la magie opérait. A nouveau debout, elle pointa sa lame et se jeta sur son ennemi. Pris par son élan, Pierre le cruel ne put s'arrêter et vint s'embrocher sur la dague de Clothilde. Son visage marqua la surprise et la douleur transforma ses traits. Ses vêtements étaient maculés de sang. Clothilde retira sa lame avec force et, dans un sursaut, Pierre II de Bazeilles mourut dans la seconde.
Un silence parcourut la foule puis de nombreux cris de joie s'élevèrent vers le ciel. Les soldats mirent un genou à terre et acclamèrent le vainqueur.
 

Conquis par tant de bravoure et de grâce, Paulin de Mouzon félicita la duchesse.
- Madame, vous avez combattu courageusement. Grâce à cette victoire, vous voilà maintenant Duchesse de Bazeilles.
Il était ébloui par le charme de Clothilde et ressentait de l'amour pour elle.
- Votre dague était parfaite dans la lutte. Qui vous a forgé cette arme ? demanda-t-il.
- C'est un cadeau d'Arthur, un jeune homme que j'ai recueilli ces derniers jours, répondit-elle. Elle se tourna vers la foule assemblée et cria d'une voix volontaire:
- Arthur, fils de Jean, viens à moi.
Etonné d'être ainsi appelé, l'adolescent s'avança rapidement vers elle.
- Je suis convaincue, Noble Arthur, que ta dague m'a aidée. Tu mérites une récompense. Agenouille-toi !
Il obéit. Clothilde l'adouba. Elle leva sa dague et la posa sur les épaules d'Arthur en disant :
- Moi, Clothilde d'Angers, Duchesse de Galles et de Bazeilles, je te fais chevalier et châtelain du domaine de Beaumont, sis dans mon Duché de Bazeilles. Tu y
régneras avec ta famille. Ton père ne travaillera que pour moi et toi, tu serviras Dieu, aideras les pauvres et obéiras toujours à ton seigneur.
- Je ferai preuve de courage, Ma Dame, et ne trahirai jamais les lois de la chevalerie, promit le jeune homme, plus fier que jamais.
Un chien aboya dans la foule. Il sauta sur Arthur et lui lécha le visage. C'était Pitié !
- Pitié ! Mon petit chien. Comme je suis content de te retrouver !
Les armées se dispersèrent. Les soldats étaient contents de ne pas avoir eu à combattre. Le corps de Jacquou était étendu sur le sol. Les Anglais n'avaient pas aimé sa bière et l'avaient tué à coups de couteau.

Le soir même, toute la contrée de Mouzon était en fête. Un grand festin eut lieu au château. Troubadours et trouvères attendaient le signal de leur maître pour égayer la jolie soirée. Arthur avait invité la vieille femme qui l'avait hébergé à Angecourt, quand il était encore dans les bois. Ses parents, fiers et heureux, étaient là. Les invités bavardaient. Le héraut annonça soudain :
- Madame Clothilde d'Angers, Duchesse de Galles et de Bazeilles !
 
A l'apparition de la Duchesse, l'assemblée la regarda, saisie d'admiration. Paulin la vit et la trouva sublime dans sa robe de soie brodée d'or. Il s'avança et s'agenouilla devant la jeune femme.
- Madame, vous êtes splendide.
Son coeur palpitait. Clothilde rougit et dit :
- Relevez-vous, noble Paulin.
Il lui tendit le bras et ils s'avancèrent dans la salle vers leurs vassaux. Le bras de la duchesse brûlait celui de Paulin. Il se sentait faible, lui d'habitude si courageux. Les invités s'écartèrent pour les laisser passer. Tous les admiraient. La duchesse d'Angers était séduite par Paulin de Mouzon. L'amour éclairait leurs regards.
 
Arthur s'avança vers la belle et courageuse Clothilde et s'agenouillant avec émotion à ses pieds, il lui baisa timidement la main sous le regard attendri de ses parents.
 
 
FIN DE L'HISTOIRE
 
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